L’Espagne à vélo par les chemins de Compostelle

Tout commence après mes vacances d’été en famille, sur la Costa Brava. Cette jolie côte est littéralement assaillie par les touristes l’été, ce qui gâche un peu le plaisir : c’est ce qui m’a donné l’envie de découvrir l’Espagne autrement.

La Costa Brava l’été au lever du soleil, avant l’arrivée massive des touristes

J’ai donc décidé d’y retourner mais à vélo, et à l’arrivée des mauvais jours, fin novembre, suscitant au passage quelques incompréhensions autour de moi. Egalement, j’ai prévu de visiter l’intérieur des terres plutôt que la côte. Bref, le but est de fuir le tourisme de masse, en roulant loin des sentiers battus.

Pour couronner le tout, je vais devoir voyager en solo, car je n’ai réussi à convaincre personne dans mon entourage d’aller pédaler là-bas avec moi pour se geler les miches à cette période de l’année.

Enfin, pour faire ce périple, j’ai choisi de rouler exclusivement sur l’Eurovélo 1. L’EV1, c’est cette route européenne pour vélos qui traverse six pays : elle commence en Norvège, traverse le Royaume-Uni, l’Irlande, la France et l’Espagne, puis se termine au Portugal.

Je vais rouler sur la portion qui va d’Anglet à Séville, soit 1300 kilomètres à la louche. Cela représente une moyenne quotidienne de 110 kilomètres pendant douze jours et si je le précise, c’est parce que rien ne se passera finalement comme prévu…

La révision de mes ambitions à la baisse

Les premiers kilomètres au départ d’Anglet sont très agréables car même si c’est vallonné, les paysages côtiers valent le détour.

Biarritz

Les points de vue sur l’océan sont nombreux tout au long de cette portion française de l’EV1 : que ce soit à Biarritz, à Saint-Jean-de-Luz ou depuis le bord de la route en pleine nature, on en prend plein les yeux.

Le fort de Socoa
Saint-Jean-de-Luz

Par contre, ça monte ! Et pour ma part, je suis très chargé, ce qui n’arrange rien : 39 kilos de bagages tout compris, en plus des 18 kilos de mon vélo.

J’ai fait ce choix du poids car à vélo, c’est la première fois que je voyage tout seul, aussi, je préfère être sûr de ne manquer de rien en cette période de l’année où il commence déjà à faire froid, notamment dans les montagnes que je vais traverser. Dans le doute, je préfère prendre trop d’affaires que pas assez.

Bref, j’en bave un peu dans les côtes qui se succèdent, mais cet aspect sportif du voyage n’est pas pour me déplaire.

L’EV1, sur les hauteurs du petit village basque espagnol de Doneztebe

A Hendaye, je perds un temps fou, environ trois quarts-d’heure, à rejoindre la frontière. En effet, pour les cyclistes comme pour les piétons, en arrivant sous le pont qui relie la France à l’Espagne, on doit monter dans un petit ascenseur pour rejoindre la frontière. Mais encore faut-il le savoir car moi, pour monter là-haut à vélo, je cherche une route, pas un ascenseur ! Je passe donc plusieurs fois juste devant lui sans le voir jusqu’à ce que deux passantes, qui ont pitié de me voir faire tous ces allers-retours, me donnent enfin l’info. Heureusement parce que sans elles, j’y serais encore…

Les voitures sont nombreuses à encombrer ce petit pont frontalier, du coup, même en pédalant lentement, je les double tranquillement.

Je quitte rapidement la petite ville frontalière d’Irun pour m’enfoncer en solitaire dans les montagnes espagnoles. Pour moi, c’est ici que commence vraiment le voyage car je me retrouve enfin seul en pleine nature.

A cette période de l’année, il n’y a pas un chat sur l’EV1. Au début, cette véloroute prend l’apparence de petits chemins qui traversent champs et forêts, le plus souvent en sécurité, loin de la route et des voitures.

Puis arrivent vraiment les montagnes. Pour les traverser, l’itinéraire de l’EV1 passe en voies partagées, c’est-à-dire par des routes fréquentées par les voitures. Du moins normalement car là, ces petites routes de montagnes sont désertes. Un régal.

J’ai la route pour moi tout seul, je croise une voiture toutes les cinq ou dix minutes, et je dois dire que conformément à tous les témoignages que j’avais lus sur le web en préparant ce voyage, les conducteurs espagnols sont en effet incroyablement respectueux des cyclistes. Ça se vérifiera tout au long du périple : un vrai bonheur que de pédaler dans de si bonnes conditions de sécurité.

La nuit approche et la mauvaise nouvelle du jour, c’est que je n’ai parcouru que 90 kilomètres (avec 1.100 mètres de dénivelé positif) au lieu des 110 prévus. Je prends donc du retard dès la première étape, ce qui n’est pas anodin car j’ai réservé un billet d’avion pour rentrer chez moi, à Bordeaux, depuis Séville. J’ai bien prévu un jour off dans la capitale andalouse en cas d’impondérable, mais je ne vais pas pouvoir me permettre de rouler ainsi vingt kilomètres de moins que prévu, chaque jour…

Bref, je plante ma tente dans un petit bois qui borde un champs. Du soir au petit matin, je suis bercé par des cris d’animaux qui me font vite oublier la ville : brebis, vaches, chiens lointains, une chouette qui hulule sur une branche juste au-dessus de la tente (on ne dirait pas comme ça mais en pleine nuit, ça fait un de ces boucans), et surtout des centaines de grues en pleine migration vers l’Afrique, qui « trompettent » bruyamment pendant plusieurs heures au-dessus de ma tête.

Il n’y a pas de doute, je suis au milieu de nulle part en pleine nature, et c’est exactement ce que je suis venu chercher dans ce voyage.

Au vu du retard pris le premier jour, je me lève tôt, histoire de partir dès le lever du soleil pour ne pas perdre de temps, car les jours sont courts fin novembre : je dois rouler au minimum 110 kilomètres aujourd’hui.

Comme je suis en pleine montagne, le tracé monte dès le premier mètre ! Je n’ai donc même pas le temps de me réveiller que mes mollets rentrent directement dans le vif du sujet. Ça continue à grimper pendant deux ou trois heures, sans la moindre descente en vue. Dans ces montées qui n’en finissent jamais, mes quarante kilos de bagages font des misères à mon cardio, et je brûle tellement de calories que je suis vite affamé.

Je m’arrête dans un village désert où je trouve une petite auberge, miraculeusement ouverte en ce dimanche matin. Je demande au patron très accueillant un petit quelque chose rapide à manger, il me ramène un festin : de grandes assiettes remplies de charcuterie locale et de fromage de pays, d’oeufs au plat et de grosses tranches d’une belle miche de pain grillé pour accompagner le tout.

Bref, comme disent les cyclistes, je me refais vite la cerise.

Je poursuis ma route, entre voies partagées quasiment sans voitures, et petits chemins de terre et de cailloux. L’itinéraire n’est jamais plat mais j’ai maintenant droit à quelques belles descentes. Pour les dévaler, je m’auto-limite à 60 km/h car je n’ai pas l’habitude de rouler avec un vélo aussi chargé, et je ne le manie donc pas encore très bien. Suffisant quand même pour me faire plaisir.

Le soir, mon problème est pire que la veille : avec toutes ces montées, je n’ai parcouru que 73 kilomètres ! Idem les deux jours suivants, avec 59 et 82 kilomètres seulement !

J’essaie de comprendre pourquoi je roule aussi lentement alors qu’en France, avec le même poids de bagages, je parcours environ 125 kilomètres pour le même chrono !

Le problème ne peut pas venir du dénivelé puisque je rattrape dans les descentes le temps perdu dans les montées.

En fait, ce sont les chemins de terre et de pierres qui causent tout ce retard. Chrono en main, je me rends compte que j’y roule environ 4 km/h moins vite que sur le bitume, à effort égal.

Ils représentent 85 % de l’itinéraire total. Quatre kilomètres de moins chaque heure à raison de huit heures quotidiennes sur mon vélo, cela représente donc 30 à 35 kilomètres de moins que prévu chaque jour, et cela pendant deux semaines !

C’est énorme, ça va m’empêcher d’arriver à Séville à temps, et ça va donc me faire rater l’avion du retour. Celle-là, je ne l’avais pas prévue !

Pampelune

Si je veux vraiment arriver dans les délais à Séville, je vais devoir faire moins d’arrêts chaque jour, continuer à rouler après la tombée de la nuit puisque fin novembre, le soleil se couche très tôt, et pédaler un peu plus vite. C’est tout à fait jouable mais halte au stress : mon but n’est pas de me dépêcher, il s’agit au contraire de savourer ce périple en prenant mon temps.

Après à peine quatre jours de voyage, je fais donc une croix définitive sur mon avion du retour. Tant mieux pour mon empreinte carbone…

Il va donc falloir passer au plan B. Évidemment, je n’en ai pas ! J’en improvise donc un tout en roulant : au lieu d’aller jusqu’à Séville pour prendre l’avion du retour pour la France, je terminerai mon périple un peu plus tôt. A Salamanque précisément, où je louerai une voiture. Je chargerai mon vélo dedans et je remonterai jusqu’à San Sebastian, près de la frontière française. Là, je restituerai la voiture puis c’est à vélo que je rentrerai tranquillement chez moi, à Bordeaux. Voilà, pas si compliqué, finalement.

Toutefois, afin d’éviter un plan C que bien sûr, je n’ai pas non plus, je dois m’assurer que je vais bien réussir à rouler 80 bornes par jour, sur ces chemins caillouteux qui me ralentissent tant. Je décide donc de réduire le nombre de nuits en bivouac, car ils prennent un peu de temps à installer le soir, idem le lendemain matin pour lever le camp. Je vais donc devoir dormir un peu plus que prévu dans des auberges de jeunesse, où l’ambiance est souvent chaleureuse, idem pour les petites pensions, voire à défaut dans de petits hôtels.

Pampelune

Les chemins de Compostelle

Je ne l’ai pas du tout ressenti en traversant les Pyrénées, où je n’ai croisé quasiment personne mais les jours suivants, je prends conscience de l’importance, dans la culture locale, des chemins de Compostelle qui sillonnent le pays. Me prenant pour un pèlerin, les habitants que je croise me lancent régulièrement le traditionnel et bienvieillant « buen camino » (« bon chemin »).

Et je rencontre désormais tous les jours quelques pèlerins qui viennent du monde entier, même si ce n’est plus vraiment la saison des pèlerinages. Ils vont tous à Saint-Jacques-de-Compostelle à pied, sur le Camino de Santiago (le chemin de Saint-Jacques).

Estella Lizarra

Un matin, après avoir quitté la petite commune d’Estella Lizarra juste avant le lever du jour, je suis interpelé par un pèlerin au bord du chemin : « vino, vino » me crie-t-il dans un espagnol approximatif, mais pas pire que le mien ! Du vin, quoi. Je ne comprends pas trop pourquoi un inconnu me parle de pinard à l’heure du petit déj’, mais il finit par me montrer une fontaine à vin gratuite (si, si !) sur le bord du chemin, où ses cinq compagnons de route se délectent déjà. Ils sont tous sud-coréens.

J’apprends qu’en Corée du Sud, le tiers de la population est chrétienne, c’est pourquoi ils sont assez nombreux à venir jusqu’ici en pèlerinage.

Ils me proposent de boire ce vin avec eux mais je décline poliment, pressentant une bonne vieille piquette.

Fontaine, je ne boirai pas de ton eau…

Au fil de la discussion qui se poursuit, ils me demandent d’où je viens. Et quand je leur réponds « de Bordeaux », ils n’ont plus qu’une idée en tête : me faire avaler le vin de cette fontaine…

Si je suis heureux et flatté de constater que la notoriété de ma bonne vieille ville de Bordeaux a franchi les frontières jusqu’à l’autre bout du monde, l’inconvénient, c’est que je vais devoir passer à la casserole en avalant ce vin qui ne m’attire pas du tout. Mais bon, ces pèlerins sont tellement sympas et joyeux que je me prête volontiers à leur petit jeu.

La fontaine d’Irache : robinet de gauche, le vin. Robinet de droite : l’eau.

Sur ce chemin de Compostelle, je bois donc le calice jusqu’à la lie : le breuvage de la fontaine arrache tellement que je m’en étouffe, ce qui déclenche l’hilarité générale tellement mes nouveaux amis sont démonstratifs.

Je dois dire que pour mon gosier, je m’attendais bien à du brutal mais pas à ce point-là !

Bref, si vous passez par cette fontaine un jour, ne vous trompez pas : servez-vous au robinet de droite, celui de l’eau…

Sans transition, revenons-en au Camino : on n’y roule donc pas très vite mais en contrepartie, ce chemin est extrêmement agréable.

Il traverse en pleine nature des paysages dépouillés où je n’ai finalement que trois choses à faire : pédaler, contempler et méditer. Voilà mon quotidien.

Et j’ai beau être athée jusqu’au bout des ongles, j’avoue que ce chemin de Compostelle dégage une atmosphère particulière, quelque chose de quasi-mystique, comme si les lieux étaient habités par quelque chose d’indéfinissable. Bref, je ne me lasse pas de l’ambiance magique qui imprègne ce chemin à travers l’Espagne profonde.

Car en cette saison non touristique, ce Camino isolé a des airs de bout-du-monde. Ma solitude et moi prenons un plaisir fou à rouler dessus pendant des heures, perdus dans la nature au milieu de la campagne espagnole déserte. Un voyage à la force des mollets, mais aussi un vrai voyage intérieur…


La Rioja

Après le Pays Basque et la Navarre, j’arrive dans une troisième région espagnole : la Rioja. Comme dans mon bordelais, la vigne est ici omniprésente.

C’est dans ces paysages typiques que je dégote mon meilleur bivouac.

En traversant la Rioja et ses paysages viticoles, je me rends compte que je passe presque plus de temps dans les vignes ici que je n’en ai jamais passé dans le bordelais. Ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés.

Le lendemain matin, avant de lever le camp, je jette un oeil à la météo : elle prévoit que le vent va rapidement se lever pour atteindre les 35 km/h, avec des rafales à 70 km/h ! Pour le cycliste que je suis, c’est énorme, d’autant plus qu’il soufflera en permanence… de face ! Idem le lendemain malgré un léger affaiblissement : 20 km/h avec des pointes à 60 km/h. Toujours de face, bien sûr…

Éole passe donc les deux jours suivants à se vider les poumons sur ma figure. A tel point que j’ai beau être athée, je suis bien obligé de croire au Dieu du vent.

Si ce coin battu par les bourrasques est l’enfer pour les pèlerins et les cyclistes, c’est le paradis pour les éoliennes ! Elles s’épanouissent totalement par ici.

Pour moi, il s’avère si difficile d’avancer contre un tel vent, a fortiori avec mes quarante kilos de bagages et sur ces chemins de terre caillouteux, que je finis par craquer. Je décide de quitter l’Eurovélo 1 pour tenter de passer par la route malgré quelque chose que je déteste : le trafic routier. Mais la Nationale sur laquelle je me retrouve s’avère bien plus fréquentée que prévu, notamment par des flopées de camions.

Chaque poids lourd qui me double provoque un gros appel d’air qui rend le vélo impossible à maîtriser. Je me retrouve alors à faire des écarts incontrôlés sur la route, où le vent permanent achève de me baloter.

C’est ainsi qu’au passage d’un énième camion, le violent déplacement d’air qu’il provoque me projette sur la rambarde de sécurité. Plus de peur que de mal pour moi mais ma sacoche avant droite, pourtant solide, se transperce sous l’impact. Je décide donc de ralentir chaque fois que je vois un camion débouler dans mon rétro.

Pendant un moment qui me semble interminable, je pédale les bras crispés sur mon guidon, le casque vissé sur la tête et les yeux rivés sur mon rétro. Ce n’est pas spécialement agréable mais au moins, j’avance plus vite que sur le chemin caillouteux du matin face au vent.

Pourtant, je dois me résoudre à y retourner après deux heures de stress au pays des camions : entre deux maux, je choisis le moindre.

Burgos

Le temps est très changeant : un coup, tout est gris et il pleut. Quelques minutes plus tard, le vent a balayé tous les nuages et il fait grand beau. C’est comme ça tout l’après-midi. Peu avant le coucher du soleil, le ciel devient carrément noir et je comprends vite qu’il n’a qu’une envie : se vider sur ma tête…

Et c’est ce qui se produit en effet une demi-heure plus tard. La pluie, portée par le puissant vent de face qui n’a pas faibli, me détrempe en moins de deux. Le vent me saoule, la pluie me fouette la face, la nuit tombe, et je n’ai toujours aucun endroit où dormir ! Le prochain village est à une heure de pédalage, je vais donc devoir rouler de nuit sur ce chemin accidenté, boueux et glissant.

Mais soudain, miracle : Saint-Jacques a bien fait les choses car je tombe sur une petite auberge de jeunesse providentielle !

Je me trouve à Hontanas, minuscule bourg de 73 âmes. Le gérant qui m’accueille me demande alors ma crédentiale. Mais c’est quoi ce truc ?! Je ne connaissais déjà pas le mot en français, alors en espagnol… C’est le petit carnet que les marcheurs vers Compostelle font tamponner à chaque étape, pour attester de leur pèlerinage.

Et comme il s’agit d’une auberge municipale, ici ce carnet est obligatoire. En effet, l’auberge est réservée aux seuls pèlerins car elle est financée par des fonds spécifiques, et les non pèlerins ne peuvent en principe pas y dormir.

N’étant pas croyant, je n’ai pas de crédentiale, et je confesse donc que je ne savais même pas que ça existait avant d’arriver dans ce petit hameau ! Mais comme je suis congélé, boueux et dégoulinant, le patron, en bon samaritain, a pitié de moi et accepte généreusement de m’accueillir. Je l’en remercie encore.

Dans cette petite auberge règne la convivialité. Sur une douzaine de pèlerins plus moi, de nombreuses nationalités sont représentées : Corée du Sud encore, États-Unis, Italie, Norvège, Allemagne, Slovaquie, Espagne, France… Je sympathise avec tout le monde.

Parmi tous ces pèlerins, un norvégien au physique de bûcheron est venu d’Oslo à pied. C’est déjà énorme en soi mais lui, en plus, il trimbale sa carriole genre grosse brouette avec… 70 kg de bagages dedans ! Tout ça à la force des bras et sur des milliers de kilomètres. Je ne sais pas comment il fait pour tracter cette grosse carriole sur les petits chemins boueux, pentus et glissants mais franchement : respect à lui ! C’est ce qui s’appelle porter sa croix.


La Castille-et-Leon

Trop occupé la veille à lutter contre le vent, les camions et la pluie, je n’avais pas remarqué que j’avais encore changé de région. Mais ce matin il fait beau, et c’est avec l’été indien que m’accueille la Castille-et-Leon.

Sur le chemin et au milieu de nulle part, entre un rayon de soleil et une averse, je rencontre une pèlerine polonaise. Elle a 18 ans mais elle en paraît 15. Elle est toute petite, même son sac à dos a l’air plus grand qu’elle.

Mais il ne faut jamais se fier aux apparences car, malgré son allure si frêle, cette jeune slave possède une condition physique en béton et un mental d’acier. Elle et son gros sac à dos avalent les kilomètres, une trentaine par jour, rien que ça, doublant tous les pèlerins qui traînent sur le camino.

Jusqu’ici, elle a déjà parcouru 3000 kilomètres à pied, depuis le pays de Jean-Paul II qui est aussi le sien, et ce long voyage, elle le fait en solo.

Armée de sa seule foi, elle n’a peur de rien et le soir, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, elle dort en pleine nature, seule, sous sa petite tente.

Après le bûcheron norvégien, gros respect aussi pour la petite polonaise.

Je reprends mon bâton de pèlerin pour cheminer à vélo.

L’Eurovélo 1 en Espagne

Pendant la deuxième semaine du voyage, la météo se dégrade. Le temps est au mieux très nuageux et au pire très pluvieux, l’un succédant généralement à l’autre. J’ai voulu partir en novembre ? Et bien je suis servi…

Un peu plus loin, c’est le froid qui m’accueille dans le petit village de Simancas. Là, impossible de me ravitailler car les restos sont tous fermés : ils n’ouvrent qu’à partir de 21h00.

Pour tuer le temps en attendant de me remplir la panse, je décide de faire une escapade au château du village car il abrite une riche collection d’archives, mondialement réputée paraît-il. A défaut de pouvoir manger, je vais m’instruire un peu…

Les archives générales de Simancas

L’avant-dernier jour en Espagne sera pour moi le plus dur. Le vent recommence à souffler à 30km/h avec des rafales à 65 km/h, encore et toujours de face. Il pleut toute la matinée et comme il n’y a aucun caillou sur certaines portions du chemin, il se liquéfie alors pour se transformer en boue.

Il devient alors impraticable dans ces endroits-là car mon vélo est si lourd que soit il s’enlise, soit les roues patinent dans la gadoue. Je dois donc régulièrement le pousser en glissant moi aussi dans cette boue fluide et marronnasse. Pour couronner le tout, j’ai droit à un dénivelé important. Un vrai calvaire !

Gros dénivelé sous la pluie

Résultat : je parcours 24 kilomètres… en 4 heures ! Sans doute un record. Une nouvelle fois, je rejoins la première route que j’aperçois pour avancer un peu plus vite et coup de chance cette fois-ci : elle est très peu fréquentée et je peux y rouler en sécurité, tout en rattrapant un peu le retard accumulé dans la boue.

Le lendemain, j’arrive tranquillement à Salamanque, réputée jolie ville mais dont les beautés s’estompent dans la grisaille ambiante. Dommage.

Salamanque

A partir de là, tout va très vite : je loue une voiture pour aller à San Sebastian, là, je restitue la voiture, puis je rentre à Bordeaux à vélo.

A noter qu’en France, mon fidèle deux-roues retrouve le bitume, ce qui me permet de rouler enfin au rythme initialement prévu : sur l’étape Anglet-Mimizan longue de 113 km, je fais le même chrono que lors de mes précédentes étapes de 75 km sur les petits chemins espagnols…


Bilan

1.100 km

11.000 m de dénivelé positif

14 jours


Les plus belles images du périple en vidéo (2 mn) :


INFOS PRATIQUES

Les étapes : distances et dénivelés

N.B. Les villes-étapes ci-dessus sont listées à titre indicatif car les bivouacs étaient situés bien sûr en pleine nature et non pas en pleine ville.

Egalement, le kilométrage indiqué est celui réellement parcouru, ce qui inclut les détours effectués : il est donc légèrement supérieur au kilométrage réel entre deux villes mais pour ceux qui envisagent d’aller rouler là-bas, ça vous donne un ordre de grandeur.


Les erreurs à ne pas faire sur l’Eurovélo 1 (EV1)

Sur l’EV1 côté espagnol (Irun-Salamanque), j’ai fait deux erreurs que je partage avec vous, pour ceux qui préparent un périple sur cette véloroute.

1 – Côté espagnol donc, il n’y a presque que des chemins de terre et de pierres, qui sont beaucoup moins roulants que le bitume de la partie française de cette véloroute.

Si vous avez du temps, ça ne vous posera aucun problème. Mais si vous avez une deadline, il faut, dès l’organisation du voyage, tenir compte du fait que ces chemins ralentissent considérablement la progression à vélo, et que les distances parcourues chaque jour sont donc inférieures à celles dont vous avez l’habitude sur le bitume.

Les chemins de pierres omniprésents ralentissent considérablement les cyclotouristes

2 – Il y a pas mal de dénivelé tout au long du chemin, et pas seulement pendant la traversée des Pyrénées (cf. le décompte quotidien dans le tableau ci-dessus en bleu). Pour ma part, j’aime bien grimper à vélo mais là, la difficulté venait de mes 40 kilos de bagages que je traînais comme un boulet dans les côtes.

Il faut savoir qu’il y a régulièrement des pentes de 10 à 15% à monter et, même si c’est le plus souvent sur de courtes distances (quelques dizaines de mètres), elles sont quand même plus faciles à grimper quand on voyage léger, donc un conseil : faites le tri dans vos sacoches…

Une montée à 13% parmi d’autres sur l’EV1

Le tracé de l’EV1

L’itinéraire de l’EV1 suit le tracé de deux chemins très anciens : le Camino de Santiago (qui date du Moyen-Âge) et la Ruta via de la Plata (qui remonte à l’époque romaine). En gros, le premier traverse l’Espagne à l’horizontale (en bleu ci-dessous), le deuxième à la verticale (en vert).

A noter que l’EV1 fusionne avec l’EV3 de Pampelune à Burgos : sur cette portion, les deux véloroutes n’en font donc plus qu’une.


Quelques liens sur L’Eurovélo

Le site Eurovélo donne pas mal d’infos générales intéressantes, mais trop peu de détails à mon goût.

Voici un site extrêmement utile voire incontournable : eurovelo1spain (en espagnol ou en anglais). En navigant un peu, on peut y consulter une foule d’infos utiles sur l’itinéraire de l’EV1 : pour chaque étape, on obtient les distances, le dénivelé, les sites à visiter, les hébergements, les infos spécifiques etc. Bref, c’est une véritable mine d’infos => Il suffit de consulter la carte, puis de cliquer sur la portion choisie de l’itinéraire : pour chaque étape, toutes les infos apparaissent.

Voici également un bon site concernant la seconde partie de l’EV1, la Ruta Via de la Plata : la Ruta en bici

Pour la partie française de l’EV1, la fameuse Vélodyssée, voici le site incontournable et très détaillé : France Vélo Tourisme

Enfin, pour ceux qui voudraient pousser jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle en allant au bout de l’EV3, ne ratez pas : eurovelospain


Le bivouac en Espagne

Il n’existe pas de législation nationale sur le bivouac en Espagne. Du coup, pour savoir si on a le droit d’installer sa tente en pleine nature, il faut se référer aux réglementations régionales, chaque communauté autonome disposant de ses propres règles : une vraie usine à gaz !

Heureusement, le site Santiago in love a répertorié tous les cas de figure, région par région, avec une minutie impressionnante : vous pouvez y consulter le tableau récapitulatif en fin d’article, car il résume parfaitement ce qui est autorisé ou interdit en matière de bivouac et de camping sauvage en Espagne.

Pour ma part, je ne me suis pas pris la tête face à tant de complications : je plantais ma tente discrètement et à l’abri des regards, loin des habitations pour ne déranger personne. Et j’avais pour principe de ramasser les déchets qui traînaient parfois dans la zone où je bivouaquais, histoire de laisser la place plus propre en partant qu’elle ne l’était en arrivant : quitte à ne pas respecter la réglementation, autant le faire proprement…


La réglementation à vélo

En Espagne, la réglementation oblige à porter un vêtement réfléchissant le soir et dans les tunnels, ainsi que d’avoir des feux à l’avant et à l’arrière visibles à 50 m. A défaut, on s’expose à une amende.

Surtout, le port du casque à vélo est toujours obligatoire pour les moins de 16 ans. Pour les plus de 16 ans, cette obligation ne s’applique qu’en dehors des agglomérations.