Le Monténégro à vélo



  1. La baie de Kotor
  2. La côte monténégrine
  3. Le coin du cycliste


La frontière montagneuse entre la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro est l’un de ces endroits dont la géographie a le secret : située à environ 1.000 mètres d’altitude, je l’atteins après une longue montée pluvieuse côté bosnien, et je la quitte par une longue descente ensoleillée côté monténégrin. Le contraste est étonnant.

Au Monténégro, les arbres ont déjà commencé à verdir. Les champs sont en fleurs, le soleil brille et les couleurs explosent un peu partout, ce qui me change radicalement de la grisaille pluvieuse qui s’est montrée omniprésente pendant toute ma traversée de la Bosnie-Herzégovine. D’un côté de la frontière, c’est encore l’hiver et de l’autre, c’est déjà le printemps ! C’est fou comme les paysages peuvent être différents à seulement quelques kilomètres d’écart.

Je ne le sais pas encore mais cette étape marquera la disparition brutale de la pluie jusqu’à la fin de mon périple, à l’exception de quelques averses de temps en temps. Rien à voir avec tout ce que j’ai enduré ces derniers temps, à travers les Balkans depuis l’est de l’Italie. Désormais, c’est un autre voyage qui commence pour moi et la conséquence immédiate, c’est qu’après ces quinze jours de pluie quasi ininterrompue, mon moral se regonfle à bloc d’un seul coup.

L’entrée des bouches de Kotor
Vue sur la ville de Kotor


En voyage, les destinations où je me régale le plus sont souvent celles où il n’y a rien à voir ! En effet, comme on n’y trouve généralement aucun visiteur, les habitants ne sont pas habitués aux fortes affluences touristiques et du coup, ils sont souvent encore plus ouverts qu’ailleurs. C’est pour cette raison que j’avais exclu la très fréquentée baie de Kotor de mon périple.

Notre-Dame-des-Anges, baie de Kotor

Mais le temps était si mauvais en Bosnie-Herzégovine que j’ai fini par adapter mon itinéraire à la météo : au lieu d’arriver au Monténégro par les montagnes du nord annoncées comme très pluvieuses, j’ai décidé de passer par la côte, au sud-ouest du pays, où la météo attendue est plus clémente. C’est là que se situent les bouches de Kotor, considérées comme la perle du pays.

Kotor est une petite ville fortifiée cernée par des montagnes vertigineuses qui se jettent brutalement dans la mer. Elle est située au cœur des bouches, que l’Unesco a classées au patrimoine de l’humanité.

Le lieu est très touristique mais j’ai la chance d’y être en plein mois de mars, c’est-à-dire en basse saison. Et je dois bien dire que le site vaut le déplacement.

La vieille ville de Kotor

Le but consiste à aller admirer la ville depuis les hauteurs, d’où la vue est réputée. Pour cela, il faut emprunter à pied un petit chemin escarpé qui serpente inlassablement dans la montagne. Il est constitué de nombreux lacets afin d’en faciliter l’ascension, mais j’en ai tellement bavé en gravissant à vélo les montagnes des balkans ces dernières semaines, que mes mollets désormais bétonnés prendraient presque cette petite escalade pour une promenade de santé.

Kotor


Sur mon nouvel itinéraire, il fait désormais beau quasiment tous les jours et ça, après mon vécu apocalyptique des dernières semaines, ça n’a pas de prix. Moi qui avais initialement prévu de me perdre dans les montagnes septentrionales du pays, je me retrouve donc à longer la côte avec tous ses aménagements touristiques et pourtant, le soleil ambiant ne me fait pas regretter ce choix contraint.

La côte monténégrine

Je traverse à tour de rôle les différentes stations balnéaires qui se succèdent sur la côte : Budva, Sveti Stefan, Petrovac Na Moru, Bar…

L’île de Sveti Stefan

J’aurais clairement préféré rouler dans les montagnes du nord, comme initialement prévu. Mais le beau temps qui inonde toutes ces petites villes donnant sur la Grande Bleue contraste agréablement avec la pluie qui a submergé tous les paysages que j’ai traversés en Bosnie-Herzégovine. Alors ici, j’en profite car la côte est globalement jolie.

Un soir, après avoir roulé sensiblement plus longtemps que prévu et avec beaucoup de dénivelé, le temps ensoleillé du Monténégro change assez brusquement, cherchant visiblement à imiter celui de sa voisine bosnienne. Un froid inhabituel me tombe dessus en même temps que la fatigue du jour m’assaille. Je me mets alors à chercher un spot de bivouac que pour une fois je ne trouve pas, le littoral étant bétonné à peu près partout, et je me résous à prendre un petit hébergement pour la nuit, dans la station balnéaire de Bar.

L’église Saint-Jovan-Vladimir de Bar

En partant le lendemain, la béquille de mon vélo se met à trembloter quand je roule. C’est normal qu’au fil des kilomètres et des vibrations, elle finisse par se dévisser. J’essaie bien de la revisser mais c’est impossible car je n’ai pas les outils adéquats pour atteindre la tête de vis, que les concepteurs du vélo ont eu la lumineuse idée de rendre inaccessible. Par chance, je passe devant un garage à la sortie de la ville de Bar. Le mécano est très sympa mais à ma grande surprise, il n’arrive pas lui non plus à venir à bout de ce problème pourtant ridicule. Il m’envoie chez un mécano vélo, non loin de là. Alors bien sûr, je pourrais continuer à rouler sans utiliser la béquille mais elle m’est quand même bien utile pour immobiliser mon vélo en position debout chaque fois que je m’arrête sur le bord de la route. Je décide donc de prendre le temps de passer chez ce mécano vélo pour régler enfin ce petit problème. Je dois tourner un bon moment dans ce quartier désert avant de finir par le trouver, puisqu’il n’y a aucun panneau menant chez lui.

Le type en question s’appelle Novak Djinovic. Son petit atelier est situé dans le jardin de sa maison, dans un quartier résidentiel à la périphérie de Bar. Novak ne parle pas beaucoup et sourit peu. Par contre, il agit et je préfère ça plutôt que le contraire. A l’inverse de son voisin garagiste, il ne se laisse pas impressionner par cette modeste béquille, qu’il dévisse rapidement et sans problème. Puis il dévisage avec un air circonspect la vis qui la fixait au vélo, avant de m’expliquer sobrement qu’elle est trop courte, dans un anglais fortement marqué par son rude accent balkanique. Il fouille dans les petites boîtes posées un peu partout sur son établis jusqu’à ce qu’il trouve une vis qui convienne, deux fois plus grande. Il revisse la béquille et en dix minutes, mon problème est réglé.

En me montrant toutes mes sacoches posées par terre à l’entrée de son atelier, que j’avais démontées pour qu’il puisse manipuler mon vélo et le réparer, il me demande d’où je viens et où je vais à coups de pédales. Je lui explique donc mon voyage France – Grèce et il se montre si intéressé qu’au moment de payer, il me dit que c’est cadeau ! Bien sûr, il n’a pas passé énormément de temps à réparer et cela ne lui a coûté qu’une vis mais le geste est sympa quand même, car d’autres n’auraient pas hésité à me facturer trente ou cinquante euros pour une prestation similaire. J’insiste un peu pour payer en rassemblant mes quelques euros dans la main. Ignorant mes billets, il se contente de prendre trois pièces d’un euro et me dit en riant que ça lui paiera le café. Il m’explique qu’il est toujours heureux de dépanner les voyageurs à vélo puisque visiblement, je ne suis pas le seul à venir lui demander de l’aide dans ce coin pourtant perdu de la ville.

A partir de là, la langue mal pendue de Novak le taiseux se délie, et nous discutons ensemble pendant trois bons quarts d’heure. Il sourit désormais tout le temps et m’explique qu’à trente-neuf ans, il est ancien cycliste professionnel, comme en attestent toutes les coupes qui décorent un coin de son atelier. Les plus grosses et les plus prestigieuses trônent dans le séjour de sa maison. Pour le remercier de son aide, je lui offre une petite tour Eiffel bleue, qu’il place sur l’étagère du bas au milieu de ses trophées.

Novak Djinovic, ex-cycliste pro monténégrin

Nous faisons alors un selfie à sa demande car, me dit-il, il en fait avec tous les voyageurs à vélo qui lui rendent visite, son but étant à terme de décorer un mur entier de son atelier avec tous les selfies pris avec les cyclo-voyageurs rencontrés !

Je me sens plutôt honoré à l’idée de savoir qu’un jour, ma trombine contribuera à agrémenter le mur d’un atelier vélo au fin fond du Monténégro…

Avec Novak Djinovic

J’ai perdu pas mal de temps ce matin à chercher quelqu’un pour réparer ma béquille. La discussion qui s’en est suivie avec Novak ne m’a pas fait rattraper mon retard, mais ce n’est pas bien grave puisque c’est justement le genre de rencontres que je recherche en voyage.

Dans l’après-midi, alors que j’approche de la frontière albanaise, un type dans une camionnette arrêtée sur le bord de la route me fait de grands signes. En même temps que je m’arrête, il descend de son véhicule : c’est un policier en uniforme. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait une boulette et je m’attends plutôt à une demande de bakchich mais heureusement pour moi, le bonhomme est hilare !

En le regardant s’approcher, son visage me dit quelque chose et pourtant, je ne le reconnais pas tout de suite car son uniforme perturbe mes souvenirs.

« Apartman dobra ? » me demande-t-il sans se départir de son rire, c’est-à-dire je crois : « l’appartement était bien ? » Ça me revient alors enfin : c’est le gars qui m’a loué le petit appartement la veille au soir, à la dernière minute et à prix bradé, alors que la nuit tombait et que pour une fois, je ne trouvais pas de bivouac. Mais il était en civil et c’est vrai qu’un uniforme, ça vous transforme un bonhomme ! Bref, il m’explique qu’il travaille pour la douane et contrôle les voyageurs en provenance de l’Albanie voisine.

C’est sur cette dernière rencontre inattendue et amicale que je quitte le Monténégro pour entrer dans un pays qui, je ne le sais pas encore, va me marquer profondément : l’Albanie…


La Trans Dinarica est un itinéraire cycliste qui relie les pays des Balkans occidentaux en traversant une superbe chaîne de montagnes, les Alpes Dinariques. Ce parcours a été conçu pour permettre aux cyclo-voyageurs qui s’aventurent par là de découvrir tout le patrimoine local : naturel, culturel, gastronomique…

La Trans Dinarica en Croatie

Cet itinéraire passe par des villages, des forêts, des montagnes, ou encore par la mer. Il alterne entre routes bitumées très peu fréquentées et chemins de terre ou de pierres en pleine nature. Il traverse des parcs nationaux et des sites classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

Bivouac sur le parcours de la Trans Dinarica

Tout au long du parcours, on découvre l’hospitalité des habitants des Balkans ainsi que les paysages à couper le souffle de cette superbe région méconnue, en plein cœur de l’Europe. Bref, quand on roule sur la Trans Dinarica, on en prend plein les yeux et on se sent une âme d’aventurier !

Sur la Trans Dinarica, sous la pluie (Bosnie-Herzégovine)


La carte suivante montre sommairement le parcours de la Trans Dinarica (copie d’écran extraite du site Trans Dinarica).

En cliquant pays par pays, ce site propose également de nombreux itinéraires alternatifs : rejoindre le parcours depuis les grandes villes, faire des détours pour aller visiter des sites intéressants à proximité, etc.

A titre d’exemple, c’est l’un de ces détours que j’ai utilisé pour traverser l’île de Pag, qui s’est avérée l’un des plus beaux endroits visités lors de ma « Trans Europa » !

Le lien : Trans Dinarica


La distance totale de la Trans Dinarica approche les 6.000 kilomètres, et son dénivelé positif les… 100.000 mètres !

Les pays traversés sont la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Kosovo et la Serbie.

La Trans Dinarica passe par la rivière Drin (Albanie)

Pour se procurer le parcours précis ainsi que sa trace GPS, ce que j’ai fait, il suffit donc de se connecter au site officiel : Trans Dinarica.

Bien sûr, ce n’est pas gratuit mais ce n’est pas très cher non plus et surtout, cela vaut tellement le coup : si, comme moi, vous êtes un.e cycliste amoureux.se de la nature, alors le rapport qualité-prix de ces packs est carrément exceptionnel. On traverse des endroits tellement natures, isolés et sauvages sans jamais se perdre que ça vaut largement la peine, selon moi, de s’offrir ces packs.

A l’inverse, l’itinéraire de la Trans Dinarica traverse peu de villes. Aussi, si vous êtes attiré.e par les grandes métropoles, ces packs ne vous conviendront peut-être pas : privilégiez alors plutôt les itinéraires Eurovélo (lire plus bas), qui seront beaucoup plus adaptés à vos goûts citadins (capitales, monuments, musées, hébergements etc).

Pour résumer, la Trans Dinarica a plutôt tendance à fuir les zones touristiques et notamment la côte Adriatique, avec ses stations balnéaires souvent prises d’assaut, pour s’enfoncer dans les montagnes beaucoup moins fréquentées. Contrairement à Eurovélo, qui ne dévie à peu près jamais des itinéraires touristiques.

On peut se procurer le pack de la Trans Dinarica pour les huit pays à un tarif à mon avis avantageux (à partir de 90 euros), ou bien choisir un pack par pays (de 8 à 23 euros selon le pays). Le lien : se procurer le pack de navigation de la Trans Dinarica.

L’itinéraire de la Trans Dinarica (Croatie)

Remarque : au cas où vous vous posiez la question, aucun lien de ce blog n’est sponsorisé. Je ne perçois donc aucune commission, que vous cliquiez ou non !

Le long de la Trans Dinarica

Je dois préciser que le Monténégro est le seul pays dans lequel je n’ai pas emprunté la Trans Dinarica. A cause d’une météo exécrable, j’ai en effet dû changer d’itinéraire en quittant la Bosnie-Herzégovine, ce qui m’a amené à traverser le Monténégro par sa côte sud, plutôt que par les montagnes du nord, comme initialement prévu. Mais cet itinéraire cycliste vaut tellement la peine de rouler dessus que je le cite quand même dans cet article, pour tous ceux qu’il pourrait attirer…

Du coup, en préparant votre périple à vélo, si vous vous interrogez sur la Trans Dinarica, n’hésitez pas à me poser vos questions dans la rubrique « commentaires » (votre @dresse mail ne sera pas publiée, contrairement à votre question qui le sera avec un léger décalage, généralement de quelques heures) : c’est avec plaisir que j’essaierai d’y répondre 🙂


Beaucoup plus connus que la Trans Dinarica encore confidentielle, les itinéraires Eurovélo ont fait leurs preuves depuis longtemps. Au nombre de dix-sept à ce jour, ils sillonnent l’Europe du Cap Nord à Malte, et de l’Irlande occidentale aux confins de l’Orient.

L’esprit est de constituer un réseau cohérent de grands itinéraires cyclables européens, en connectant les capitales et les grandes villes du continent. Le patrimoine naturel et culturel est mis en valeur tout en favorisant le tourisme durable.

Le réseau Eurovélo

Enfin, la sécurité des usagers est toujours prise en compte. Ainsi, les routes doivent être balisées et continues. Elles doivent également éviter les routes à fort trafic. Elles combinent donc pistes cyclables et routes secondaires, voire chemins balisés.

Le principal inconvénient, c’est que peu de ces routes Eurovélo sont totalement terminées.

Je suis attentivement l’évolution de certaines d’entre elles depuis cinq ans et pourtant, rien n’a bougé : elles en sont toujours au même stade (en général l’un des trois stades en rouge sur le tableau suivant) selon le site Eurovélo lui-même. Aucune évolution en cinq ans !

Percevoir les fonds européens, c’est bien, mais les utiliser pour procéder aux aménagements promis, ce serait mieux !

Les différents stades de développement des routes Eurovélo

J’enfonce un peu le clou : Eurovélo existe depuis 1995 mais trente ans plus tard (au 27 octobre 2025), une seule route est entièrement terminée ! Il s’agit de l’Eurovélo 19 : la route cyclable de la Meuse (1.050 km). Et cinq autres sont (enfin) à un état d’avancement supérieur à 90% :

Une seule route terminée en vingt ans, et cinq autres qui ne sont plus très loin de l’être, sur dix-sept routes en tout (les n° 16 et 18 n’existant pas encore), ce n’est quand même pas énorme. Bien sûr, il ne faut pas non plus cracher dans la soupe : ces dix-sept routes ont au moins le mérite d’exister, et Eurovélo reste un superbe projet pour les voyageurs à vélo.


Si je ne me suis jamais senti réellement en danger sur les routes du Monténégro, c’était quand même la première fois que je voyais les voitures me doubler d’aussi près. La plupart des automobilistes, comme dans les pays précédents, faisaient très attention à moi et respectaient une bonne distance de sécurité en me doublant, mais pas tous. Il y en avait en effet quelques-uns qui passent assez près de moi et assez vite, ce qui ne m’était jamais arrivé dans les pays précédents (et qui ne m’arrivera plus non plus dans les pays suivants).

Il ne faut évidemment pas généraliser car globalement, en tant que cycliste, les routes monténégrines m’ont paru assez sûres, mais j’ai dû rester un peu plus vigilant que d’habitude.




Les étapes précédentes :



Les étapes suivantes :


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