Située à six cents kilomètres à l’est de Bali et méconnue, Florès est une île verdoyante, constellée de volcans et peu peuplée. Elle a tout pour plaire aux amoureux de la nature en recherche d’authenticité : c’est pour ça que nous l’avons choisie.
Quelques jours plus tôt sur Java, lorsque nous avions vu le Raung en éruption, nous ne savions pas encore qu’il allait interrompre le trafic aérien indonésien au cours des semaines suivantes, bloquant à Bali et aux alentours, ainsi qu’à l’étranger à destination de Bali, quelques dizaines de milliers de voyageurs.
Ayant pu prendre in extremis l’un des derniers vols au décollage de Denpasar (Bali) et à destination de Labuan Bajo (Flores) avant la fermeture de ces deux aéroports, nous étions très heureux d’avoir eu une telle chance. Mais ce que nous ne savions pas à ce moment-là, c’est qu’après notre croisière, nous serions bloqués à notre tour à l’aéroport de Labuan Bajo ! Nous avions prévu un vol court vers Ende, dans le centre de l’île mais c’est impossible : tous les vols de Labuan Bajo sont annulés à cause du Raung.
Il nous faut donc tirer un trait sur le Kelimutu, un volcan qui a l’air magnifique avec ses trois lacs d’acides colorés, ainsi que sur la rencontre des Lio, une ethnie qui vit non loin de là dans de superbes petits villages authentiques. Le coup est un peu dur pour nous car ces endroits nous faisaient rêver, mais dans le pays le plus volcanique de la planète, c’est un peu le revers de la médaille : on doit vivre au rythme des volcans. Il va donc falloir improviser de nouvelles visites et l’avantage avec l’Indonésie, c’est qu’il y a toujours de beaux endroits à découvrir, où qu’on se trouve.
Nous décidons de passer la journée à chercher tranquillement un plan B. Mais l’excellent Golo Hilltop Hotel dans lequel nous venons de passer la nuit au retour de la croisière, est complet pour la nuit prochaine. La première urgence consiste donc à trouver un autre hébergement. Nous trouvons notre bonheur mais il s’agit d’un hôtel situé à l’exact opposé de la ville. Et là, les bras nous en tombent : le personnel du Golo Hilltop nous propose de nous emmener tous les quatre en voiture, gratuitement, chez son concurrent ! Il n’est pas situé bien loin c’est vrai, mais quand même : le geste a une certaine classe.
Une fois sur place, pendant que Victor et Arthur barbotent dans les eaux indonésiennes (notre nouvel hôtel a les pieds sur la plage…), Marie et moi cherchons tranquillement comment tuer les quelques jours que nous avons devant nous. Après avoir fouillé le guide papier que nous avons emporté (la connexion internet de l’hôtel est trop mauvaise pour nous permettre de chercher par ce biais), nous décidons de faire une incursion dans l’arrière-pays afin de rencontrer l’ethnie locale : les Manggaraï Barat. C’est d’ailleurs la même que celle qui vit sur les petites îles de pêcheurs d’où nous venons.
La destination est donc choisie, mais comment y aller ? Nous repensons alors à Ali, le propriétaire du bateau sur lequel nous venons de voguer d’île en île pendant trois jours : à notre retour de croisière, il était venu nous accueillir au port pour vérifier que tout s’était bien passé, et il nous avait donné son numéro de téléphone, au cas où nous aurions encore besoin de ses services. Nous ne pensions pas que ce serait le cas mais finalement, si ! Nous l’appelons donc et il vient nous rencontrer à l’hôtel pour nous expliquer qu’il a une voiture conduite par un jeune local, Christo, qui peut nous emmener à travers l’ouest de Flores pour deux ou trois jours. Nous tombons rapidement d’accord sur les modalités et prenons rendez-vous pour le lendemain matin.
FLORES : LA CÔTE SUD-OUEST
Après cette journée de recherches et de détente, et après la nuit qui s’ensuit, nous rencontrons Christo au petit matin, avec qui nous allons donc faire la route pendant quelques jours. Le seul inconvénient, c’est qu’il parle un peu seulement l’anglais. Le nôtre n’est pas excellent mais le sien est carrément rudimentaire, ce qui nous limite dans la conversation. En tout cas, il est fier de nous faire découvrir son beau pays et nous arrête dans les meilleurs endroits.
Sur les plages, il faut quand même faire très attention car la mer est animée par de forts courants : rien à voir avec les eaux calmes des îles de Komodo dans lesquelles nous venons de passer trois jours.
Avant d’arriver sur cette longue plage qui, sans notre présence, serait intégralement déserte à l’exception de quelques buffles, Christo nous a demandé s’il pouvait faire une halte pour faire monter dans la voiture un ami à lui. C’est monnaie courante dans ce genre d’endroits : le copain est un local censé bien connaître la région et nous guider gratuitement. Comprendre : « les pourboires sont acceptés », même s’ils ne l’évoqueront pas une seule fois. Cette forme de tourisme équitable ne nous pose aucun problème, bien au contraire.
Ahmed, c’est le nom du copain, nous accompagne donc et nous fait découvrir des endroits sympas et simples, et où nous ne croiserons pas le moindre touriste. Un vrai plaisir que ce dépaysement.

Un petit mot ici sur la religion en Indonésie : la constitution reconnaît six religions officielles (islam, catholicisme, protestantisme, hindouisme, bouddhisme et confucianisme). Jusqu’en 2015, tout citoyen indonésien avait l’obligation de choisir l’une d’entre elles, laquelle figurait d’ailleurs sur sa carte d’identité. Mais depuis 2015, l’athéisme est autorisé. En tout cas, ce qui nous a marqués tout au long de notre voyage, c’est de voir à quel point l’harmonie quotidienne entre les différentes communautés religieuses est réussie : la devise du pays « Unité dans la diversité » se vérifie tous les jours et ça fait plaisir à voir par les temps qui courent.
Avec Ahmed pour guide, nous vagabondons de plage en village, en passant par des rizières. Le rythme est paisible, les gens rencontrés aussi.
Dans un petit village justement, un homme vient à notre rencontre. Il échange d’abord quelques mots avec Christo et Ahmed en Bahasa, la langue officielle du pays, puis s’adresse à nous en anglais. De toute évidence, cet homme est ouvert, instruit et curieux au bon sens du terme. Il cherche à échanger avec nous et à apprendre tout ce qui peut venir de notre pays. Nous discutons un moment ensemble. Puis quand il nous quitte, nos deux compagnons nous apprennent que c’est l’imam du village et que c’est une personnalité extrêmement respectée par ici.
LE PAYS DES MANGGARAI BARAT
En fin d’après-midi, nous ramenons Ahmed dans sa famille en le dédommageant comme il se doit. Christo nous emmène alors dans le petit village de Lembor. Nous nous arrêtons dans un homestay pour demander s’il reste une chambre pour quatre. Il s’agit en fait d’une maison où la famille reçoit les visiteurs de passage. Toutes les chambres sont libres et nous comprenons vite pourquoi : les lieux sont très sommaires. La maîtresse de maison est adorable et on voit qu’elle a fait de gros efforts sur le nettoyage des pièces. Pourtant, bien que nos deux chambres soient les plus nettes de la maison et sans doute même du village, nous ne partageons pas vraiment les même critères de propreté.
Il n’y a évidemment pas d’eau courante. Dans les toilettes, une poubelle est remplie d’eau qu’il faut verser dans le WC à la turque, à l’aide d’une louche en guise de chasse. Mais l’eau de cette poubelle sert aussi à faire sa toilette. Évidemment, comme toujours dans ce genre d’endroits, c’est l’eau de nos bouteilles que nous utiliserons pour nous laver les dents et faire une toilette de chat, histoire de ne pas attraper la tourista.
Dans les toilettes de leur chambre, Marie et Victor n’arrivent pas à éteindre la lumière. Ils m’appellent pour les aider et nous avons beau chercher partout, suivre les fils qui pendouillent, nous ne trouvons aucun interrupteur. Alors que dans ma chambre, il y en a bien un qui tombe du plafond. Nous nous résignons tout penauds à appeler la maîtresse de maison à la rescousse. Et là, à notre grande surprise, c’est les pieds dans une petite flaque d’eau sur le carrelage qu’elle dévisse l’ampoule, en nous expliquant qu’il n’y a pas d’interrupteur. Je dis à Marie et Victor qu’il ne faut surtout pas faire comme elle afin de ne pas s’électrocuter. Tant pis, ils utiliseront les toilettes dans le noir ! Ou bien les nôtres dans la chambre voisine.
Le reste des chambres est dans le même style : tout a été nettoyé mais tout est sale quand même ! Pourtant, nous sommes heureux d’être là, chez des gens extrêmement gentils. Ça nous permet aussi d’emmener Victor et Arthur dans un bout-du-monde très éloigné des standards auxquels ils sont habitués, et de leur faire prendre conscience du confort dans lequel nous avons finalement la chance de vivre au quotidien, sans forcément nous en rendre compte.
Comme dans le petit village de pêcheurs où nous étions quelques jours plus tôt, Victor et Arthur jouent au foot avec les enfants du coin avant d’aller se coucher. L’état des draps nous fait vite comprendre que nous ne sommes pas les premiers à dormir dedans, ni sans doute les derniers, aussi ne regrettons-nous pas d’avoir emmené nos sacs à viande. La chaleur moite et les bestioles qui pullulent rendent la nuit assez longue.
Au petit matin, après avoir pris le petit déjeuner qui était inclus dans le prix des chambres (en fait un simple café puisqu’il n’y a rien d’autre à boire ni à manger), nous quittons nos hôtes pour nous rendre au marché local, perdu au fond du village coloré.
L’essentiel du marché se trouve un peu plus loin et il est couvert.
Tous les stands sont installés sur de petits pilotis pour parer aux fortes chutes d’eau en période de mousson. En-dessous circule parfois un rat ou deux.
Nous nous arrêtons à chaque stand pour engager la conversation comme nous pouvons. Les gens sont tous incroyablement souriants.
Alors que nous discutons depuis quelques minutes avec deux femmes, elles quittent d’abord leur stand puis tout en discutant, elles s’approchent lentement de Victor et Arthur. En poursuivant la conversation comme si de rien n’était, elles en viennent à toucher et malaxer innocemment les cheveux de nos fistons, dont la blondeur et la finesse semblent les fasciner. A l’évidence, elles n’ont pas l’habitude de voir des occidentaux.
Notre peau blanche les subjugue particulièrement puisque, tout en discutant, elles ne peuvent pas s’empêcher de frotter, doucement mais dans tous les sens, les bras blancs de nos deux garçons. La scène dure plusieurs minutes. Le sourire de ces deux dames rayonne tandis que nos deux petits gars se demandent vraiment ce qui se passe.
En partant, nous essayons d’acheter quelques bananes, forcément 100 % bio, pour Victor et Arthur en guise de goûter. Mais la dame tient à nous vendre le régime entier.
Qu’importe, nous les prenons quand même et les distribuons à tous les enfants que nous croisons et qui, de toute évidence, ne connaissent pas l’existence du mot « obésité ». Ils nous remercient à coups de grands sourires. Ils sont ravis, nous aussi.
Nous qui voulions sortir des sentiers battus pour ce voyage, nous ne sommes pas déçus. Car les seuls et rares touristes que nous avons croisés depuis 24 heures étaient enfermés dans leur voiture, et se contentaient de traverser Lembor sans s’y arrêter. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, car la gentillesse et la saine curiosité des locaux à notre égard nous permettent de vivre de grands moments.
Puis nous reprenons la route avec Christo. Il arrête la voiture de temps à autre pour que nous puissions admirer le paysage.
On se rend vite compte que les rizières ont la même importance ici, que celle de la mer et de ses poissons dans les petits villages de pêcheurs du parc de Komodo.
D’ailleurs à propos de Komodo, la faune est quand même plus sympa ici.
LES CASCADES DE CUNCA WULANG
En préparant ce voyage, nous avions lu que les routes de Flores étaient sinueuses et défoncées, et que les trajets ne se comptaient pas en kilomètres mais en heures.
Mais là, j’avoue que nous ne nous attendions quand même pas à ça : quand nous quittons la route principale, elle-même dans un état déjà pas terrible, nous nous retrouvons sur un chemin en descente dont la moitié du goudron laisse place à des trous assez profonds. Christo conduit en première le pied sur le frein pendant au moins trois-quarts d’heure. Régulièrement, le bas de caisse touche le sol. Cette voiture n’est pas un 4×4 et n’est donc pas faite pour cette route mais dans ces contrées, on n’a pas le choix.
Nous finissons enfin par arriver dans un petit village reculé, Wersawe, situé en pleine nature et plus précisément… au milieu de nulle part ! Nous avons prévu d’aller nous baigner un peu plus loin dans des petites gorges, dont l’entrée est toutefois payante, et où le guide accompagnateur est obligatoire : les cascades Cunca Wulang. Ce qui nous étonne d’ailleurs au vu des difficultés pour accéder jusqu’ici : il ne doit pas y avoir foule. Mais ce n’est pas un problème et nous suivons notre nouveau guide. Il nous emmène d’abord sur un chemin assez large, de part et d’autre duquel sont situées des cases. Tout au long de ce chemin de 200 ou 300 mètres, les habitants sortent de chez eux les uns après les autres pour venir nous saluer, leur éternel sourire vissé aux lèvres.
Ici, on a l’impression d’être en plein « Rendez-vous en Terre Inconnue ». Le guide nous fait entrer chez des gens qui discutent tranquillement à l’ombre de leur case. A côté d’eux bout un sirop dans une marmite. On nous le fait goûter, nous ne comprenons pas exactement ce que c’est mais il s’avère délicieux. Nous ne restons qu’une dizaine de minutes mais nous remercions chaleureusement cette famille.
Sous une chaleur étouffante, nous poursuivons notre marche dans une forêt assez dense. Cela descend en permanence, ce qui signifie qu’au retour, il faudra monter. Puis on entend peu à peu le bruit de cascades se rapprocher, jusqu’à ce que nous arrivions.

C’est ici que les locaux viennent se rafraîchir, se laver, et les enfants s’amuser. Le site est néanmoins quasiment désert. L’eau est glaciale mais c’est une sorte de petit paradis tropical sculpté au milieu d’une nature luxuriante. Certes il se mérite, mais voici encore l’un de ces endroits dont l’Indonésie a le secret.
Nous passons un bon moment à savourer ces lieux enchanteurs. Puis nous repartons pour une marche rendue assez éprouvante par le soleil de plomb qui nous accable. Et c’est complètement assoiffés que nous arrivons à la voiture, ayant vidé notre stock d’eau depuis longtemps. Comme par hasard, il y a plein de boissons à vendre au bureau des guides…
Nous rentrons sur Labuan Bajo pour clore cette parenthèse imprévue dans l’ouest de Flores. Car s’il est dommage de ne pas avoir pu admirer le Kelimutu et rencontrer les Lio, nous avons passé de si bons moments en pays Manggarai Barat qu’au final, nous ne regrettons pas d’avoir dû improviser ce nouveau planning.
FLORES : NOS INFOS PRATIQUES
Comment s’y rendre ?
En avion : on peut rejoindre assez facilement Flores depuis les autres îles du pays grâce à ses deux principaux aéroports : Labuan Bajo à l’ouest (c’est la « porte d’entrée » du Parc Marin de Komodo) et Maumere à l’est. Mais l’île compte également des aéroports plus petits au centre : Ende et Masumeli.
En bateau : comme dans tout archipel, les ports sont nombreux et les connexions maritimes inter-îles sont fréquentes. Pour Flores, on peut joindre l’utile (le voyage pour s’y rendre) à l’agréable (la découverte du superbe parc de Komodo) en faisant une croisière, par exemple depuis Lombok.
Où loger à Labuan Bajo ?
→ Golo Hilltop Hotel : de 32 à 40 euros (nous avons payé 37 euros/nuit la chambre double, petit déjeuner inclus). Situé comme son nom l’indique sur une colline, il a de faux airs de luxe avec sa petite piscine et sa vue sur la baie de Labuan Bajo.
Adresse : L Binako, Labuan Bajo, Komodo, Labuan Bajo, Komodo, Flores, Nusa Tenggara Tim. 86554. Tél +62 385 41337
Lorsque l’éruption du Raung empêcha notre avion de décoller de Labuan Bajo, nous avons dû trouver un autre hôtel dans la ville pour la nuit suivante, le Golo Hilltop affichant alors complet. Le personnel nous emmena gratuitement en voiture chez un concurrent (le Luwansa, ci-dessous), bien que situé à l’autre bout de la petite ville ! Suffisamment rare pour être signalé.
C’est à la fois pour cette gentillesse des employés, pour la propreté, pour les jardins fleuris, pour la piscine ainsi que pour le bon rapport qualité-prix de cet hôtel, que c’est une excellente adresse.
→ Luwansa Beach Resort Hotel : de 40 à 70 euros la chambre double. L’hôtel est très propre, il dispose en théorie du wi-fi (en pratique, la connexion est régulièrement interrompue). Il dispose d’une piscine qui donne sur une longue plage déserte. La zone de restauration extérieure mais couverte par un chapiteau est très agréable, ainsi que le personnel.
Adresse : Macang Tanggar, Komodo, West Manggarai Regency, Nusa Tenggara oriental. +62 385 244 3677
Où loger à Lembor ?
En arrivant à Lembor depuis Labuan Bajo, petit homestay après l’entrée du village sur la droite. Au niveau propreté et hygiène, les conditions sont presque identiques à celles dans lesquelles vivent les locaux.
→ Prix : 7 euros/nuit la chambre double, négociables. Très roots.
Les autres étapes de notre périple d’un mois en Indonésie :
→ Les temples de Borobudur et Prambanan (Java-centre)
→ Les volcans actifs : le Bromo (Java-centre) et l’Ijen (Java-est)
→ La plantation Margo Utomo (Java-est)
→ Une croisière de rêve d’île en île, les dragons de Komodo et les villages de pêcheurs isolés (Parc marin de Komodo)
→ L’îlot paradisiaque de Kanawa (Parc marin de Komodo)
→ Bali, l’île des Dieux
Toutes nos infos pratiques (également à la fin de notre carnet de voyage détaillé)
- Résumé vidéo (2 mn) – Volcans, temples, petits villages de pêcheurs, îles paradisiaques : l’Indonésie dans toute sa splendeur…