La Croatie à vélo


  1. Quelques déboires
  2. La meute de chacals
  3. L’île de Pag
  4. La Croatie profonde et sauvage
  5. Le coin du cycliste


Après avoir quitté le pays des ours, la Slovénie, je passe en Croatie.

Les frontières étant une invention purement humaine, elles ne s’appliquent pas aux ours. Dans les forêts montagnardes que je traverse, je continue comme en Slovénie à guetter ces grosses boules de poils griffues et dentues pendant plusieurs heures. Mais tuons le suspense tout de suite : je n’apercevrai pas le moindre nounours de tout mon périple…

La forêt croate

Pendant que je roule, mon vélo décide de faire des siennes. De petits sauts de chaînes de plus en plus fréquents accompagnent mon pédalage dans chaque montée, ne me donnant pas le choix : la chaîne en question est plus usée que prévu et il va falloir que je la fasse changer.

Je décide donc de modifier mon itinéraire. Je vais quitter les jolies montagnes croates pour faire une escale dans ce que je fuis depuis le début du périple : la ville ! La plus proche est Rijeka, sur la côte croate.

Rijeka sous un ciel d’encre

Une fois sur place, je laisse mon vélo à un réparateur et j’en profite pour aller acheter un billet de bateau vers ma prochaine étape : l’île de Pag.

Le réparateur m’a dit que Rijeka était la ville la plus pluvieuse de Croatie. Je ne sais pas si c’est vrai mais en tout cas, depuis trois jours maintenant, le ciel se vide de manière impressionnante. Ici encore plus qu’à Trieste, les rues sont inondées. Les voitures projettent d’énormes gerbes d’eau sur les trottoirs, où les quelques piétons qui ont osé braver les éléments s’abritent comme ils peuvent. Sous un abribus, un avant-toit… Moi, j’opte plutôt pour aller prendre un cappuccino bien au sec et au chaud en attendant que ça se calme. Le billet de bateau peut bien attendre un peu.

Une heure plus tard, le déluge ne semblant pas près de s’arrêter, je file au port pour acheter mon billet de bateau mais là, c’est la douche froide. Car on m’informe que le ferry pour l’île de Pag ne prend pas les vélos. Il prend bien les motos, les voitures, les camions, à peu près tout ce qui roule et même les piétons, mais allez savoir pourquoi, pas les vélos. Derrière son guichet, l’employée de la compagnie maritime arbore une tête de bouledogue qui me dissuade de poursuivre la discussion. Tant pis, je ferai deux cents bornes supplémentaires à vélo, en direction du sud jusqu’à Prizna. Il s’agit d’un port minuscule où les ferries qui font la brève traversée jusqu’à l’île de Pag acceptent bien, eux, les vélos.

Le village de Bakar

Deux jours de pédalage plus tard, mon vélo réparé et moi arrivons sur les hauteurs de Prizna juste avant que le soleil ne se couche. En réalité, il ne s’est jamais vraiment levé puisqu’il a passé toute la journée bien caché derrière une grosse épaisseur de nuages pluvieux, qui ne se sont jamais levés eux non plus. Depuis Trieste, la dernière ville italienne que j’ai traversée, le ciel vomit des trombes d’eau quasiment sans arrêt. Cette météo exécrable est de nature à démoraliser le plus optimiste des cyclo-voyageurs. Mais je rêve de ce périple depuis cinq ans, alors ce ne sont pas les quelques tonnes d’eau s’abattant lâchement sur ma tête qui vont me démotiver. Malgré le déluge, je suis toujours heureux de vivre ce périple. Un jour, il fera beau à nouveau.

Une petite route croate


Le soir venu, je profite d’une rare accalmie pour poser ma tente. Une heure plus tard, je dors déjà d’un sommeil profond, celui qui emmène loin les cyclistes harassés par huit heures de vélo. Mais j’en suis extirpé par ce qui ressemble à des sirènes de Police. Elles sonnent un peu bizarrement par rapport à leurs homologues françaises mais peu importe. Le son s’amplifie au fur et à mesure qu’elles approchent. Jusqu’à ce que mon esprit encore embrumé réalise que j’ai posé ma tente tellement à l’écart de la route qu’aucune voiture ne peut arriver jusqu’ici ! Je l’ai montée dans un petit champ jonché de gros cailloux, perdu en pleine nature et cerné par d’anciens murets de pierres. Ils ont été construits il y a longtemps par les paysans du coin, pour abriter leurs cultures du vent provenant de la mer voisine.

C’est là que je comprends enfin ce qui se passe : ce ne sont pas des sirènes de Police, ce sont les hurlements d’une meute de chacals dorés ! Ils sont si près de la tente que leurs cris me font mal aux oreilles. Vraiment. Mais ils partent aussi vite qu’ils sont arrivés. Le temps que j’attrape mon téléphone pour enregistrer leurs complaintes plutôt mélodieuses, ils se sont déjà pas mal éloignés. Ont-ils été attirés par l’odeur de chacal qui m’accompagne après deux jours sans douche ? Pas impossible.

Si j’ai fini par identifier ces animaux sans les voir c’est grâce à toutes les infos que j’avais prises sur Internet en préparant ce voyage. Je m’étais en effet renseigné sur les animaux potentiellement dangereux que je risquais de rencontrer au cours de mon périple : ours, loups, serpents, scorpions et araignées. J’étais alors tombé sur des articles évoquant les chacals. Je ne m’étais pas attardé dessus à partir du moment où j’avais lu qu’ils ne présentaient aucun danger pour les humains. J’avais juste écouté leurs cris sur internet pour pouvoir les identifier au cas où j’en entendrais pendant mon voyage. Et dire que cette nuit, je viens de les confondre avec des sirènes de Police !

Je n’en prendrai conscience que plus tard mais cette brève rencontre avec les chacals va constituer un tournant dans mon périple : il y avait un avant, il y aura un après.

Car c’est la première fois depuis mon départ que je me sens à ce point en harmonie avec la nature qui m’entoure. Déjà, ce spot de bivouac se trouve très isolé, beaucoup plus que d’habitude : il est situé loin de la route et il n’y a aucun village alentour. Cela m’a permis de passer la nuit loin de toute zone civilisée. Et pendant que ces chacals vagabondaient à gorge déployée autour de ma tente, je me suis régalé à les écouter chanter.

Depuis deux semaines maintenant que je suis parti, j’ai passé le plus clair de mon temps dans la nature, de jour comme de nuit. Mais ce soir, cette meute de canidés a fini de balayer les derniers repères de confort que j’avais conservés de ma vie citadine.

A partir de maintenant, j’ai un peu l’impression de faire partie intégrante de la nature : c’est toute la magie de ce voyage qui est en train de me tomber dessus.


Le lendemain matin, je rejoins Prizna, sous un soleil matinal qui ne va pas tarder à s’enfuir.

Là, je prends le billet d’un bateau qui, contrairement à ceux qui appareillent depuis Rijeka, ne fait aucune discrimination à l’encontre des vélos. Après une courte traversée de trente minutes, je me retrouve enfin sur l’île de Pag.

Mes premiers kilomètres sur l’île de Pag

Longue d’une soixantaine de kilomètres, elle est relativement grande. C’est une île sauvage, aride et battue par les vents, c’est d’ailleurs à cause de ça que pas grand-chose n’y pousse. Quant à sa population, elle est essentiellement composée de… moutons ! On en croise un peu partout et ça lui donne un certain charme. Ma découverte de l’île, très fréquentée l’été mais vide de touristes l’hiver, va constituer pour moi un véritable coup de cœur. Le premier du voyage, mais pas le dernier…

Le soir venu, je descend dans une petite pension afin de pouvoir prendre une bonne douche et tant pis si après ça, mon effluve naturelle n’attire plus aucun chacal.

La propriétaire septuagénaire des lieux, Sofia, m’accueille chaleureusement. Installée ici depuis quarante-cinq ans, elle est bosniaque. Elle est polyglotte mais nous ne pouvons pas communiquer pour autant : elle ne parle que des langues et dialectes croates, bosniaques et serbes. Moi pas.

Avec Sofia

Dotée d’un sens aigu de l’hospitalité, elle passe un bon moment dans sa cuisine pour me préparer un café turc dans les règles de l’art. Nous le dégustons ensemble malgré des freins linguistiques à la compréhension mutuelle. Mais nous prenons tout notre temps et nous passons une petite heure à échanger comme nous pouvons. Les silences qui s’immiscent parfois dans la discussion sont bienveillants. Le moment est tellement paisible. Peu productif en termes de compréhension mutuelle mais tellement paisible. J’arrive quand même à comprendre quelques bribes de ses propos, notamment qu’elle a beaucoup souffert de la guerre dans son pays, dans les années 90.

L’arrivée de sa fille anglophone fait subitement progresser nos échanges. Elle m’explique notamment pourquoi sa mère est encore si marquée par ce conflit, pourtant terminé depuis un quart de siècle : deux de ses frères y ont perdu la vie. Le premier a sauté sur une mine à l’âge de vingt-quatre ans, le corps du deuxième n’a jamais été retrouvé.

L’histoire est dramatique et me touche profondément. Pourtant, j’aime ce genre de rencontres où nous échangeons nos tranches de vies, si amicalement alors que nous ne nous connaissons même pas.

Pag à l’aube

Le lendemain matin, je mets le cap sur le sud de l’île. Il y a là un pont qui la relie au continent et qui m’évitera de prendre à nouveau un bateau. Normalement, je serai de l’autre côté ce soir.

Pour la première fois depuis cinq ou six jours, il ne tombe plus des cordes. Le temps est même passé d’un extrême à l’autre puisqu’il fait désormais un soleil éclatant et que le bleu du ciel n’est souillé d’aucun nuage. Du coup, les jolis paysages de l’île retrouvent toutes leurs couleurs, qui explosent.

Au fond, la Croatie continentale vue depuis Pag

Mon GPS vélo me fait traverser Pag en quittant le bitume de la route principale pour emprunter de petits chemins entièrement déserts, à travers une jolie nature sauvage et battue par les vents.

Au fond, la Croatie continentale vue depuis Pag

Ces chemins de terre, de pierres et de boue ne sont absolument pas roulants et mes mollets en bavent un peu, mais les vues plongeantes sur la mer et les montagnes en valent la peine.

Pendant une bonne partie de la journée, je ne croise pas un chat. Par contre, beaucoup de moutons. Il y en a partout. Quand je ne les vois pas brouter, je les entends bêler.

Dans l’après-midi, je croise enfin une présence humaine.

C’est celle de Luka, un jeune pèlerin croate sympa, qui se rend à pied dans l’ouest de l’Herzégovine, à Medjugorje. Ce petit village constitue un lieu de pèlerinage important pour les catholiques, à tel point que ses deux mille habitants accueillent chaque année plus de deux millions de pèlerins.

Avec Luka et son bâton de pèlerin

Nous échangeons sur les conditions difficiles de voyage et de bivouac que nous rencontrons tous les deux depuis quelques jours, à cause de ce temps à ne pas mettre un voyageur dehors. Et quand il m’explique que sa tente, visiblement moins étanche que la mienne, s’est retrouvée inondée en pleine nuit, nous nous marrons comme des bossus. Moi qui dors au sec, de quoi me plains-je ?

Champs inondés par la pluie des derniers jours

La journée passe et les paysages enchanteurs défilent, dans une ambiance à la fois champêtre et marine. Je m’arrête si souvent pour prendre des photos, filmer et tout simplement profiter de la vie, que je n’avance pas beaucoup.

Mon itinéraire et son dénivelé
Autoportrait !

Je pensais quitter cette île dans l’après-midi en rejoignant le continent par le pont sud mais à cause de ces si nombreux arrêts photos, je ne progresse pas assez vite pour y arriver avant la nuit. Je décide donc de profiter un peu plus que prévu de Pag, en bivouaquant ici plutôt que sur le continent.

Bien calé entre une petite route peu fréquentée et la mer calme, un vaste terrain boisé me tend les bras pour planter ma tente.

Encore un spot de bivouac très nature

Il est assez isolé et semble en friche, avec son herbe haute, humide et jaunie, et débouche sur de jolies petites criques désertes.

Une petite crique face à la tente

La Croatie étant la maison de nombreux reptiles, dont plusieurs variétés de vipères, je suis conscient que ces herbes hautes peuvent cacher des serpents venimeux. Je descends donc de mon vélo et le pousse en tapant des pieds pour faire fuir ceux qui flemmarderaient éventuellement par ici. En effet, n’ayant pas d’oreilles, les serpents sont sourds et n’entendent donc pas les humains approcher. Quand ils détectent enfin leur présence, c’est souvent trop tard et ils sont tellement surpris qu’ils se croient attaqués, donc ils mordent pour se défendre. C’est pourquoi il faut taper des pieds : cela permet de provoquer dans le sol des vibrations auxquelles ils sont très sensibles, ce qui les fait fuir avant qu’on n’arrive sur eux.

Une fois le meilleur emplacement trouvé pour ma tente, à proximité de quelques conifères, j’aplatis toutes les herbes de la zone pour me rassurer : si un serpent déboule, je l’apercevrai plus facilement.

Bivouac sur l’île de Pag

Cette journée est la plus belle depuis le début du périple, et elle s’achève par le spectacle classique mais toujours efficace du soleil rougeoyant qui s’effondre dans la mer. Comme lui, je finis par me coucher. Demain, je quitterai Pag.

Coucher de soleil face à la tente


Ma vie nomade m’impose une triple quête quotidienne : trouver suffisamment d’eau pour tenir jusqu’au lendemain, trouver une poubelle où jeter mes ordures puis le soir, trouver un spot de bivouac pour dormir comme un bienheureux.

Ainsi, à peine de retour sur la Croatie continentale, je dois déjà remplir mes gourdes qui sont vides. Mon itinéraire m’a fait quitter la côte, où les villes et villages n’étaient pas rares, pour m’enfoncer dans les terres montagneuses de l’intérieur, beaucoup moins habitées. Là, pendant un bon moment, je ne traverse pas le moindre village.

L’un des rares signes de vie que je rencontre se présente sous la forme d’un motard. Il s’arrête à un croisement pour me laisser passer, alors qu’il aurait largement la place de me doubler puisqu’à part nous deux, cette petite route de montagne est entièrement déserte. Nous nous saluons brièvement de la main puis, une fois passé devant lui, je m’attends à l’entendre accélérer et le voir me doubler en trombe. Mais non. Il arrive au pas puis roule à ma hauteur, à vingt kilomètres à l’heure au lieu de cent cinquante. Nous discutons comme ça quelques minutes tout en roulant au milieu de la route. Il est allemand et va en Inde. Quand je lui dis que pour ma part, je vais en Grèce, il observe avec étonnement tout mon chargement, me fait un grand sourire et me dit « respect ». Nous faisons un check, toujours en roulant, puis il pousse une accélération qui me laisse sur place. A ce rythme-là, il arrivera sur la terre de Gandhi avant que je n’atteigne celle d’Aristote.

Cette discussion sympa n’a pas résolu mon problème d’eau. Je finis par arriver dans un minuscule hameau, constitué d’à peine quatre ou cinq vieilles maisons de pierre. Tout est calme, la petite route qui le traverse est déserte et à part un aboiement lointain de temps en temps, le silence règne.

Par chance, un habitant travaille dans son jardin.

Après lui avoir exprimé le tiers de mon vocabulaire croate, à savoir dobar dan qui veut dire bonjour, je lui demande sans la moindre illusion s’il parle anglais. Dans un hameau aussi reculé, c’est quasi-impossible.

Mais il me répond « english, french » : il se trouve qu’il parle couramment le français ! C’était improbable. Il s’appelle Danilo et il a vécu et travaillé cinq ans à Paris.

Avec Danilo

Quand je lui demande où je peux trouver de l’eau, il me propose immédiatement celle de son puits. Nous discutons pendant qu’il remplit mes gourdes, puis il me fait visiter son potager d’un côté, et son verger de l’autre : salades, choux, figuiers, pruniers, vignes, rien ne manque ici pour que son jardin prospère, à part la chaleur estivale.

Après avoir fait le tour du propriétaire, j’étale fièrement les deux tiers restants de mon vocabulaire croate, à savoir hvala puno qui signifie merci beaucoup, puis do vidjenia pour au revoir. Mon accent pas terrible lui arrache un sourire et nous nous quittons là-dessus.

Alourdis de trois kilos grâce à l’eau du puits de Danilo, mon vélo et moi reprenons la route. Tout en le propulsant à la vitesse d’un escargot dans ces montées qui n’en finissent pas, je réalise que depuis mon départ de France, j’ai déjà grimpé près de 10.000 mètres de dénivelé positif. C’est-à-dire sensiblement plus que l’altitude de la reine des montagnes, l’Everest.

Ciel croate menaçant

Une nuit, je me rends compte que contrairement à ce que je pensais jusque-là, les villes n’ont pas forcément le monopole des troubles du voisinage ni du tapage nocturne. Car bien qu’ayant monté ma tente en pleine nature, dans un petit bois de conifères délicatement odorants, je suis réveillé à plusieurs reprises par mes voisins. Il s’agit d’un troupeau d’ânes qui passent la nuit dans le champ d’à côté. De temps en temps, ils poussent de grands cris qui taillent en pièces le silence profond de la montagne. Dès que l’un d’entre eux beugle comme un âne, il se trouve toujours un de ses congénères pour lui répondre, quelque part au loin. A un moment, ces ânes exubérants finissent par réveiller un coq qui, complètement désorienté, se met à chanter au beau milieu de la nuit. Décidément, quand ce ne sont pas des chacals qui me réveillent, ce sont les ânes et les coqs ! Mais à vrai dire, je savoure ces moments rares d’immersion en pleine nature.

Demain matin, je leur rendrai visite pour leur dire ma façon de penser.

Une fois le jour levé et mes affaires rangées sur le vélo, je vais voir d’un peu plus près ce troupeau d’ânes bruyants. Dès qu’ils me voient, ils se figent tous en m’observant pour me jauger. Mais plus j’approche, plus ils se montrent curieux. Ne décelant aucun danger chez le voyageur pacifique que je suis, ils viennent jusqu’à moi pour se faire caresser le bout du museau, en se bousculant les uns les autres pour passer devant les copains. Ceux qui sont derrière hi-hanent haut et fort pour affirmer quand même un peu leur présence. Je finis par prendre congé de mes voisins herbivores afin de poursuivre ma route.

Par ici, la nature croate est belle et sauvage. Je traverse de vastes forêts dépouillées de leurs feuilles en cette fin d’hiver, je longe de petites rivières qui se terminent en grosses cascades, je monte péniblement les pentes des montagnes qui m’encerclent avant de les descendre joyeusement de l’autre côté…

Bref, je savoure de plus en plus ce voyage très nature qui m’emmène à tour de rôle sur des petites routes désertes et des sentiers perdus. Je me sens loin, tellement loin de la ville et de son bruit, de sa pollution, de son stress.

Les chutes de la rivière Zrmanja à Bilisane

Ici règnent le chant des oiseaux, les senteurs de la forêt et cette incroyable sensation de liberté. Il faut que j’en profite car dans quelque temps, à l’issue de mon congé sabbatique de six mois qui sera forcément trop court, je devrai retourner au travail chez moi à Bordeaux, en pleine ville : la paisible nature croate me manquera alors tellement…

Les chutes de la Zrmanja

A vélo, l’une de mes obligations consiste à me procurer quotidiennement de quoi manger. Aussi, peu avant de passer en Bosnie-Herzégovine, dans la petite ville croate de Sinj, je m’arrête comme souvent dans une minuscule épicerie de bord de route. J’y suis accueilli à bras ouverts par la gérante, qui est une petite femme dynamique et joviale.

Elle est sans filtre et nous plaisantons très vite comme si nous nous connaissions depuis toujours, alors que nous nous sommes rencontrés il y a trois minutes. Son humour implacable s’attaque d’emblée à mon pauvre crâne dégarni, lequel n’avait rien demandé mais je dois l’avouer, elle me fait bien rire.

Le courant passe si bien qu’elle m’offre vite de quoi me sustenter : charcuterie maison et fromage, avec morceaux de pain et petits biscuits. Ce festin est destiné à tous ses clients mais comme je suis le seul dans le magasin, elle m’oblige à me resservir plusieurs fois ! Mon estomac de cycliste toujours affamé ne se fait pas prier. Je dévaste l’assiette et je reprends la route.

Avec Ana et Milanka

Ce sera ma dernière rencontre en Croatie. La panse désormais bien remplie, je prends la direction de la Bosnie-Herzégovine toute proche mais auparavant, j’ai un dernier site à voir dans le pays : l’œil de la Terre ! Il s’agit de la source d’une rivière très connue dans le pays, la Cetina, qui se présente sous la forme d’un gigantesque trou rempli d’une eau très colorée.

L’œil de la Terre


La Trans Dinarica est un itinéraire cycliste qui relie les pays des Balkans occidentaux en traversant une superbe chaîne de montagnes, les Alpes Dinariques. Ce parcours a été conçu pour permettre aux cyclo-voyageurs qui s’aventurent par là de découvrir tout le patrimoine local : naturel, culturel, gastronomique…

La Trans Dinarica en Croatie

Cet itinéraire passe par des villages, des forêts, des montagnes, ou encore par la mer. Il alterne entre routes bitumées très peu fréquentées et chemins de terre en pleine nature. Il traverse des parcs nationaux et des sites classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

Bivouac sur le parcours de la Trans Dinarica

Tout au long du parcours, on découvre l’hospitalité des habitants des Balkans ainsi que les paysages à couper le souffle de cette superbe région méconnue, en plein cœur de l’Europe. Bref, quand on roule sur la Trans Dinarica, on en prend plein les yeux et on se sent une âme d’aventurier !

Sur la Trans Dinarica, sous la pluie (Bosnie-Herzégovine)


La carte suivante montre sommairement le parcours de la Trans Dinarica (copie d’écran extraite du site Trans Dinarica).

En cliquant pays par pays, ce site propose également de nombreux itinéraires alternatifs : rejoindre le parcours depuis les grandes villes, faire des détours pour aller visiter des sites intéressants à proximité, etc.

A titre d’exemple, c’est l’un de ces détours que j’ai utilisé pour traverser l’île de Pag, qui s’est avérée l’un des plus beaux endroits visités lors de ma « Trans Europa » !

Le lien : Trans Dinarica


La distance totale de la Trans Dinarica approche les 6.000 kilomètres, et son dénivelé positif les… 100.000 mètres !

Les pays traversés sont la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Kosovo et la Serbie.

La Trans Dinarica passe par la rivière Drin (Albanie)

Pour se procurer le parcours précis ainsi que sa trace GPS, ce que j’ai fait, il suffit donc de se connecter au site officiel : Trans Dinarica.

Bien sûr, ce n’est pas gratuit mais ce n’est pas très cher non plus et surtout, cela vaut tellement le coup : si, comme moi, vous êtes un.e cycliste amoureux.se de la nature, alors le rapport qualité-prix de ces packs est carrément exceptionnel. On traverse des endroits tellement natures, isolés et sauvages sans jamais se perdre que ça vaut largement la peine, selon moi, de s’offrir ces packs.

A l’inverse, l’itinéraire de la Trans Dinarica traverse peu de villes. Aussi, si vous êtes attiré.e par les grandes métropoles, ces packs ne vous conviendront peut-être pas : privilégiez alors plutôt les itinéraires Eurovélo (lire plus bas), qui seront beaucoup plus adaptés à vos goûts citadins (capitales, monuments, musées, hébergements etc).

Pour résumer, la Trans Dinarica a plutôt tendance à fuir les zones touristiques et notamment la côte Adriatique, avec ses stations balnéaires souvent prises d’assaut, pour s’enfoncer dans les montagnes beaucoup moins fréquentées. Contrairement à Eurovélo, qui ne dévie à peu près jamais des itinéraires touristiques.

On peut se procurer le pack de la Trans Dinarica pour les huit pays à un tarif à mon avis avantageux (à partir de 90 euros), ou bien choisir un pack par pays (de 8 à 23 euros selon le pays). Le lien : se procurer le pack de navigation de la Trans Dinarica.

L’itinéraire de la Trans Dinarica (Croatie)

Remarque : au cas où vous vous posiez la question, aucun lien de ce blog n’est sponsorisé. Je ne perçois donc aucune commission, que vous cliquiez ou non !

Le long de la Trans Dinarica

En préparant votre périple à vélo, si vous vous interrogez sur la Trans Dinarica, n’hésitez pas à me poser vos questions dans la rubrique « commentaires » (votre @dresse mail ne sera pas publiée, contrairement à votre question qui le sera avec un léger décalage, généralement de quelques heures) : c’est avec plaisir que j’essaierai d’y répondre 🙂


Beaucoup plus connus que la Trans Dinarica encore confidentielle, les itinéraires Eurovélo ont fait leurs preuves depuis longtemps. Au nombre de dix-sept à ce jour, ils sillonnent l’Europe du Cap Nord à Malte, et de l’Irlande occidentale aux confins de l’Orient.

L’esprit est de constituer un réseau cohérent de grands itinéraires cyclables européens, en connectant les capitales et les grandes villes du continent. Le patrimoine naturel et culturel est mis en valeur tout en favorisant le tourisme durable.

Le réseau Eurovélo

Enfin, la sécurité des usagers est toujours prise en compte. Ainsi, les routes doivent être balisées et continues. Elles doivent également éviter les routes à fort trafic. Elles combinent donc pistes cyclables et routes secondaires, voire chemins balisés.

Le principal inconvénient, c’est que peu de ces routes Eurovélo sont totalement terminées.

Je suis attentivement l’évolution de certaines d’entre elles depuis cinq ans et pourtant, rien n’a bougé : elles en sont toujours au même stade (en général l’un des trois stades en rouge sur le tableau suivant) selon le site Eurovélo lui-même. Aucune évolution en cinq ans !

Percevoir les fonds européens, c’est bien, mais les utiliser pour procéder aux aménagements promis, ce serait mieux !

Les différents stades de développement des routes Eurovélo

J’enfonce un peu le clou : Eurovélo existe depuis 1995 mais trente ans plus tard (au 27 octobre 2025), une seule route est entièrement terminée ! Il s’agit de l’Eurovélo 19 : la route cyclable de la Meuse (1.050 km). Et cinq autres sont (enfin) à un état d’avancement supérieur à 90% :

Une seule route terminée en vingt ans, et cinq autres qui ne sont plus très loin de l’être, sur dix-sept routes en tout (les n° 16 et 18 n’existant pas encore), ce n’est quand même pas énorme. Bien sûr, il ne faut pas non plus cracher dans la soupe : ces dix-sept routes ont au moins le mérite d’exister, et Eurovélo reste un superbe projet pour les voyageurs à vélo.


Sur mon itinéraire, la Croatie était le pays qui m’inquiétait le plus en termes de risques d’accidents de la route. Car j’avais lu de nombreux témoignages de voyageurs à vélo, sur des blogs et forums, qui disaient tous invariablement la même chose, et ça faisait peur : les Croates conduisent comme des fous, ils s’amusent à frôler les cyclistes à grande vitesse, ils doublent comme des malades tout en klaxonnant sans la moindre raison, certains font carrément des bras d’honneur en passant, etc.

Alors disons-le tout de suite : j’ai vécu exactement le contraire sur les routes croates ! En dix jours passés à rouler dans ce pays, aucun automobiliste (ni poids lourd etc.) ne m’a jamais mis en danger. Pas une seule fois.

Les automobilistes croates m’ont toujours doublé à distance très respectable. Quand il n’y avait pas la place de passer sans me frôler, ils restaient derrière moi et attendaient qu’il n’y ait plus de voiture en face pour passer, sans énervement ostensible.

C’est vrai que les grosses voitures allemandes sont très répandues en Croatie (Audi, Porsche, Mercedes, BMW…) mais pour ce que j’en ai vu, les croates en ont toujours fait un usage respectueux et sécurisé par rapport au cycliste que je suis.

Pourtant, je fais plutôt confiance à tous les témoignages évoqués plus haut. Alors pourquoi une telle différence de ressenti ?

D’une part, j’ai traversé la Croatie à vélo mi-mars, c’est-à-dire en basse saison, à une période de l’année où les locaux ne sont pas encore envahis par les nuées de cyclotouristes passant par là.

D’autre part, j’ai pédalé à l’intérieur des terres sur une bonne partie de mon itinéraire, contrairement à la plupart des voyageurs à vélo qui traversent le pays du nord au sud en longeant la côte. Là, il est possible que les locaux soient excédés l’été sur ces petites routes étroites mais très fréquentées qui les empêchent de doubler les nombreux vélos roulant au ralenti.

En tout cas, si vous avez lu les mêmes témoignages alarmistes que moi, alors un conseil : attendez d’être là-bas pour vous faire votre propre idée.

Moi, j’ai juste une chose à dire aux automobilistes croates : hvala puno (merci beaucoup) !




Les étapes précédentes :


Les étapes suivantes :



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