La Grèce à vélo

J’ai pris tout mon temps pour profiter au maximum de ma dernière journée en Albanie. La conséquence immédiate, c’est qu’il est déjà tard lorsque je passe la frontière grecque, et qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour trouver un spot de bivouac avant la tombée de la nuit.

En plus, je me trouve dans une partie très montagneuse de la Grèce. D’un côté de la route, il y a la montagne, de l’autre, le ravin et partout, le terrain est à la fois très boisé et trop pentu pour poser ma tente dans les parages.

Mais comme toujours, à force de rouler, je finis par trouver un petit chemin en bord de route, au bout duquel quelques arbres pourront cacher ma tente de la vue des rares voitures qui passent par ici.

Ma tente en mode camouflage



Le lendemain, je rencontre une galère que je n’ai absolument pas anticipée : la soif.

Après un bivouac non loin de la ville de Ioannina, je donne mes premiers coups de pédales de bon matin, dans de jolis paysages de montagne et dans l’insouciance totale : comme toujours depuis quarante jours que j’ai quitté la France, je trouverai bien de l’eau en chemin.

Au fil des heures, le soleil chauffe de plus en plus et le problème qui se pose, auquel je n’avais pas pensé un seul instant, c’est que mon itinéraire ne me fait pas traverser le moindre village. Habituellement, je rencontre presque tous les jours des habitants qui acceptent gentiment de remplir mes gourdes, sinon, j’attends de trouver une fontaine sur mon chemin. Et en dernier recours, il me suffit d’acheter des bouteilles d’eau dans la première petite épicerie que je croise, ce que je n’ai fait qu’une seule fois jusque là.

Mais aujourd’hui, mes bidons sont vides et autour moi, rien ! Pas un village, pas un habitant, pas une fontaine, pas une épicerie. En d’autres termes, je suis à sec. En plus, il fait chaud et je transpire dans les montées, bref, je suis assoiffé. A midi, je dévore la tomate, le demi-concombre et l’orange qu’il me reste afin de m’hydrater un peu, puis j’étudie la carte du coin sur mon GPS pour essayer de trouver un village proche. En vain, il n’y a pas âme qui vive dans les parages.

Personne à des kilomètres à la ronde

Je suis au pays de la mythologie grecque et puisque j’ai le gosier si sec, je ne peux m’empêcher de penser aux Danaïdes, ces cinquante sœurs qui furent condamnées à verser éternellement de l’eau dans un vase sans fond : quel gâchis !

Mais comme souvent depuis le début du périple, je fais une rencontre providentielle. Une fourgonnette des services de l’autoroute voisine passe à un croisement, assez loin devant moi. Elle s’arrête un peu plus loin, fait demi-tour et revient vers moi avant de s’arrêter à ma hauteur. Le conducteur, avec son gilet jaune de l’autoroute, me demande où je vais. Je lui explique mon trajet mais il n’a pas vraiment l’air de me croire. Il est persuadé que je veux emprunter l’autoroute à vélo. Il essaie de m’en dissuader en m’expliquant que c’est interdit et que surtout, c’est dangereux. N’ayant plus huit ans depuis longtemps, je suis au courant de tout cela et je n’ai en effet pas prévu d’aller me faire aplatir aujourd’hui par un bolide à quatre roues. Malgré son insistance plutôt lourde, il est franchement sympa.

Au moment où il s’en va, je lui demande s’il y a un village dans le coin où je pourrais acheter de l’eau. Il me répond que non, qu’on est loin de tout ici et qu’il n’y a rien. Il retourne à sa fourgonnette, me laissant K-O debout après une info aussi sèche. Mais il en ressort avec deux petites bouteilles d’eau de vingt-cinq centilitres chacune, qu’il me tend dans un grand sourire.

Le sauveur de l’autoroute !

Quand on vit quotidiennement avec l’eau courante et qu’on a l’habitude d’ouvrir un robinet pour que l’eau coule à flots, on n’a pas idée de ce que peut représenter un petit demi-litre d’apparence aussi ridicule. Mais pour qui vit dans la nature et se retrouve assoiffé pendant des heures, en plein cagnard et en plein effort, comme moi aujourd’hui, alors ces deux micro-bouteilles valent tout l’or du monde. Il y a cinq minutes à peine, j’étais au fond du trou et là, d’un seul coup, je suis le plus heureux des hommes. La vie est belle.

Je descends la première bouteille cul-sec et je garde la seconde pour le bivouac du soir : j’aurai besoin d’un peu d’eau pour préparer mon dîner grâce à un sachet lyophilisé que je garde toujours en réserve, dans la perspective d’un jour où je n’aurais rien à manger. Je réalise alors que ces deux bouteilles sont à la fois beaucoup et trop peu. Elles me sauvent momentanément mais elles sont insuffisantes quand même.

Une petite fabricante de miel grecque

La chance me fait alors passer devant une maison isolée dont je me demande ce qu’elle peut bien faire là, si loin de tout. Son habitant jardine à proximité de la porte d’entrée. J’ouvre le dialogue par un kalimera amical (bonjour) censé briser la glace et le mettre en confiance. Il me répond la même chose mais sur le ton d’un ours hostile, avant de tenter de se réfugier dans sa maison. Je réalise alors que, habitant dans un endroit aussi reculé, il est légitime qu’il se méfie du premier type qui passe par là, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un voyageur un peu cradingue comme moi.

Je lui demande alors très vite, juste avant qu’il ne passe le seuil de la porte, s’il peut me dépanner en eau. Il répond en râlant fort, me tourne le dos et rentre chez lui brusquement en claquant la porte. J’attends là un instant car je crois avoir compris qu’il va revenir quand même, et je profite de ces quelques secondes pour sortir une petite tour Eiffel bleue de mes sacoches : on ne sait jamais, ça peut toujours servir.

Le type revient alors, muni d’une grande bouteille d’eau de deux litres mais en arborant une tête de tueur : il me fait comprendre que s’il me donne cette eau, c’est juste pour que je dégage le plus vite possible. Mais moi, en voyant cette immense bouteille, qui prend sous ce cagnard autant de valeur qu’un ticket de loto gagnant, je pars tout seul dans un grand éclat de rire, sans doute un peu nerveux. Puis je couvre mon sauveur, le deuxième en vingt minutes à peine, de plusieurs efkaristo consécutifs (merci). Et bien sûr, je lui tends la petite tour Eiffel.

C’est fou l’impact de ce petit objet bleu sur les gens à qui je l’offre. Chaque fois, ils rient à tue-tête lorsqu’ils prennent la petite tour dans leurs mains. Mais avec ce grec, c’est différent. Il y a deux secondes, il semblait prêt à m’égorger et là, il se met subitement à rire avec moi comme si j’étais son vieux pote ! Ce petit cadeau l’a mis en confiance. Du coup, ce taiseux devient intarissable et n’arrête plus de me questionner sur mon voyage. Mais je finis par m’éclipser quand même, trop content de ces deux rencontres successives qui m’ont sorti d’une sale situation.

Il n’y a pas âme qui vive dans ce coin du pays.


La journée ayant été difficile physiquement à cause du gros dénivelé, de la chaleur et de la soif, je décide d’arrêter de pédaler un peu plus tôt que d’habitude, pour me reposer. Je vais poser ma tente dans les parages et profiter tranquillement de la soirée, quelque part dans la nature.

Je trouve assez rapidement un spot vraiment agréable, qui le serait encore plus si au préalable, un troupeau de vaches n’avait pas déposé tout un bataillon de bouses un peu partout. Les plus sèches sont inodores et ne me posent pas de problème, mais les plus fraîches sont répugnantes. Déjà, elles sont énormes mais surtout, elles sont colonisées chacune par des dizaines de grosses mouches vertes, qui n’ont rien trouvé de mieux à faire que de creuser une multitude de galeries dans cette odorante matière fécale d’origine bovine. C’est bien la première fois de ma vie que je suis amené à observer aussi finement cette manifestation peu ragoûtante de la nature, et j’espère surtout que ce sera la dernière.

Bien sûr, ce n’est pas le sujet le plus élégant à aborder mais cela fait partie du voyage, alors je ne peux pas le censurer non plus.

Une fois ma tente montée, je m’en éloigne un instant en faisant évidemment très attention où je pose les pieds. Je finis par me planter devant un gros buisson. Là, alors que je marque tranquillement mon territoire, j’entends subitement un gros bruissement de feuilles dans la végétation que je suis justement en train d’arroser. Je pense immédiatement à un serpent. Et en effet, un gros reptile surgit juste à côté de mon pied droit mais ce n’est pas celui que je crains : c’est une petite tortue sauvage.

Daisy la tortue

Par chance, elle semble être passée entre les gouttes puisqu’elle est toute sèche. Elle est mignonne comme tout, bien qu’étant furieuse après moi car j’ai marqué un territoire qui n’était pas le mien : c’est le sien. Je la baptise Daisy, du nom de sa congénère que nous avions à la maison quand j’étais petit. Puis je retourne à ma tente, lui rendant ses terres.

Croiser ce petit animal sur ma route est assez symbolique car nous présentons quelques similitudes, lui et moi. Nous n’avançons pas bien vite, et nous emportons tous les deux notre maison avec nous : la tortue sur son dos et moi dans mes sacoches de vélo.

L’avantage quand on roule à la vitesse de ce petit animal tout pataud, c’est qu’on peut prendre tout son temps, ce qui permet de profiter beaucoup plus du voyage. On n’a aucune contrainte, on peut rester aussi longtemps qu’on veut dans les endroits où l’on se plaît puisque on n’est attendu nulle part. Il suffit juste de profiter du moment présent, que ce soit face au paysage ou le temps d’une rencontre. Savourer ces instants sans se soucier du temps qui file, il s’agit bien d’un luxe qu’on ne possède jamais, dans la vie de tous les jours.

Le territoire de Daisy, sur lequel j’ai donc posé ma tente, est un petit coin de nature calme et paisible qui fait face aux montagnes. Dans une telle quiétude, la petite tortue sauvage et moi allons bien dormir.

En Grèce, le nord du pays n’est globalement pas touristique. Ici, je découvre la Grèce profonde, bien loin de la carte postale classique représentant des petites églises blanches surmontées de coupoles bleues, avec une mer d’azur en toile de fond.

Plus je descends vers le sud, plus les champs fleuris succèdent aux montagnes enneigées. Les fleurs sont omniprésentes, elles remplissent les champs, je n’en ai jamais vu autant. Les paysages en sont tout tachetés, ce qui les enjolive et tant mieux car franchement, sans ce saupoudrage de couleurs, ils seraient beaucoup plus banals. Un vrai petit paradis pour les abeilles.

Dans cette partie du pays, je traverse peu de villages et aucune ville. En conséquence, contrairement à ma traversée de l’Albanie, je ne fais pas beaucoup de rencontres. Mais comme la nature est omniprésente, j’y trouve mon compte quand même.

Ici, il y a un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est que cette nature fleurie est agréable et très propice au bivouac. Mais l’inconvénient, c’est que justement, le bivouac est interdit en Grèce !

Bivouac dans les environs d’Etoliko

Pourquoi cette discrimination à l’encontre des bivouaqueurs ? D’une part, pour protéger la nature du comportement de certains campeurs peu scrupuleux. D’autre part, pour préserver la tranquillité des habitants. Enfin et surtout, pour limiter au maximum les risques d’incendies.

Les contrevenants risquent une amende, et il faut savoir que la police traque de plus en souvent les bivouaqueurs en Grèce, notamment en haute saison.

Pour ma part, si j’ai pris le parti de ne pas respecter cette interdiction, ce dont je ne suis pas spécialement fier malgré mes convictions pro-bivouac, c’est pour plusieurs raisons. Déjà, quand je dors sous la tente, je ne laisse absolument aucune trace de mon passage dans cette nature que j’aime, et j’emporte donc tous mes déchets. Ensuite, je bivouaque toujours discrètement, loin des habitations, afin de ne déranger personne. Enfin et surtout, je n’allume mon réchaud que lorsque la végétation est mouillée, ou lorsqu’il n’y en a pas du tout à proximité. Et en prime, quand il y a déjà des déchets par terre dans la zone où je pose la tente, je les ramasse et je les emporte avec moi pour les jeter dans la première poubelle que je trouve après avoir levé le camp, histoire que les lieux soient plus propres après mon passage qu’avant.

Alors bien sûr, ces précautions ne m’autorisent pas pour autant à bivouaquer dans ce pays et j’en suis bien conscient. Mais quitte à ne pas respecter la règlementation, autant le faire proprement et sans déranger personne.

Un soir, je longe des champs fleuris qui me séparent du lac Amvrakia, au loin. Il a l’air paisible et puisqu’il m’attire comme un aimant, je décide de quitter la route pour prendre un petit chemin dans sa direction, car j’aimerais bien poser ma tente sur la berge.

En direction du lac Amvrakia

Je roule un petit moment avant de trouver un site qui a l’air accueillant pour passer la nuit, à une poignée de mètres de l’eau. Mais une fois la tente posée, je repère deux pêcheurs à quelques centaines de mètres : moi qui aime bien bivouaquer discrètement, ça tombe mal !

La rive du lac Amvrakia

Ma tente ne se voit quasiment pas de loin, toute verte au milieu de la verdure, mais j’aime autant aller les voir pour discuter un peu et voir à qui j’ai affaire. Avec mon appareil photo en bandoulière, je passe vraiment pour le parfait touriste qui n’inspire aucune méfiance.

Avec mes voisins pêcheurs

Ils ont attrapé une poignée de poissons et s’apprêtent à repartir.

Nous discutons un peu avant qu’ils ne rentrent chez eux déguster le fruit de leur pêche. Une fois partis, je me retrouve tout seul sur la berge, à savourer égoïstement la vue sur le lac.

Le lac Amvrakia

Comme souvent après de bonnes journées de pédalage, je me couche tôt, juste après le soleil. C’est le moment que choisissent les crapauds du voisinage pour commencer à hurler. Et quand ils s’y mettent en bande, ils ne font pas dans la discrétion. Quel boucan ! Peu après, les quelques oiseaux qui ont prévu eux aussi de passer la nuit au bord du lac, décident de faire concurrence à mes voisins batraciens. Le cocktail coassements – gazouillis qui en résulte n’est pas le plus mélodieux qui soit mais finalement, il n’est pas désagréable non plus. Surtout, il me rappelle que je suis en pleine nature, et cette musique vaut tellement mieux que les klaxons que j’entendrais si je dormais en ville. En quelques minutes, elle me berce et je m’endors.

Sur la rive du lac Amvrakia

L’une des bonnes surprises du périple, c’est justement le bivouac. J’ai toujours aimé ça mais je n’en fais qu’un ou deux par an, au cours de randonnées en montagnes avec ma femme et nos amis. Là, depuis deux mois et demi que j’ai quitté la France, j’ai déjà passé plusieurs dizaines de nuits sous la tente. Ce n’est pas le fait de bivouaquer en lui-même qui me séduit tant, c’est surtout celui de dormir dans des coins sauvages, souvent vierges de toute présence humaine, excepté la mienne. Je prends un plaisir fou à observer la nature sous toutes ses coutures. Admirer le coucher du soleil tous les soirs, que ce soit depuis une forêt, une crique ou une montagne. Puis me faire bercer par le bruit du vent, de la pluie ou d’une rivière dès que je ferme les yeux, le plus souvent avec quelques cris d’animaux en toile de fond. Ensuite, tous les matins sans exception, c’est le chant des oiseaux qui me réveille dès les premières lueurs, qui apparaissent une vingtaine de minutes avant que le soleil ne pointe le bout de son nez derrière l’horizon. Et enfin, quand je sors de la tente pour prendre mon café, je me trouve au milieu d’un champ tout givré, ou bien sur la rive d’un lac, ou encore face à un paysage doré par la lumière de l’aube.

Ce matin, c’est sous les arbres et face au lac Amvrakia que je me réveille. Une fois le petit déjeuner englouti et mes affaires préparées, j’ai un peu de mal à m’arracher à ce spot si nature. Mais il faut bien poursuivre ma descente vers le sud. Par chance, l’itinéraire que me propose mon GPS vélo me fait emprunter des petits chemins isolés très agréables.

Les champs d’orangers et de citronniers sont de plus en plus nombreux sur le bord de la route, il y en a désormais sur des kilomètres sans interruption. Il n’y a toujours pas un seul touriste et je croise très peu d’habitants. Même si les rencontres, que j’affectionne tant, commencent à me manquer dans ce pays, je dois avouer que je me sens bien, tout seul sur ces chemins déserts.

Champ de fleurs et d’oliviers

La Grèce du nord est décidément une région très peu touristique. Du coup, je finis par arriver à la mer sans avoir jamais croisé personne, ou presque.

Une fois sur le littoral, le soleil tape mais pour compenser, Éole souffle assez fort, ce qui a le double effet de me rafraîchir et d’agiter la mer. Elle est hachée et dans les villages fantômes que je traverse, les vagues se fracassent contre les digues, projetant parfois de grandes gerbes d’eau sur la route, et des embruns sur ma figure.

Je réalise la chance folle que j’ai de vivre des moments si grisants sur mon vélo, face à ces panoramas naturels bruts. Depuis l’Albanie, dont j’ai trouvé les paysages si sauvages, si purs, je passe la plupart de mon temps en pleine nature, que ce soit de jour en pédalant ou de nuit sous ma tente. Lacs et rivières, forêts et fleurs, voilà l’environnement dans lequel je vis quotidiennement depuis quelques semaines maintenant, et je me rends compte que j’aurais bien du mal à m’en passer. J’ai perdu mes repères de citadin depuis longtemps et j’ai un peu l’impression de m’ensauvager.

Au fond, des montagnes aux cimes enneigées surplombent la mer

Je vis au quotidien avec peu de choses et bizarrement, ce dénuement ne me crée aucun manque, un peu comme l’un des illustres représentants de la Grèce antique, Diogène de Sinope, qui décéda d’ailleurs à Corinthe, ma prochaine étape.

La différence, c’est que lui s’était volontairement plongé dans la pauvreté, dans le but de s’affranchir de toute forme de servitude, notamment matérielle. Alors que moi, c’est juste parce que je ne pouvais pas emporter ma maison sur mon vélo ! C’est moins glorieux bien sûr et pourtant, le résultat est étonnamment le même : je me retrouve heureux de la simplicité dans laquelle je vis au quotidien, elle me fait du bien et bizarrement, j’aime cet inconfort. Est-ce cela la vraie liberté, comme l’affirmait Diogène ? Je n’en sais rien mais c’est vrai que cette sobriété de chaque instant, à laquelle je ne suis pas habitué, combinée au fait que je roule depuis quelques milliers de kilomètres sans la moindre contrainte, me convainc que oui : avec mon vélo et ma tente, je me sens libre comme jamais…

A ce stade du périple, je ressens un sentiment de plénitude assez fort. Et dire que je ne suis plus qu’à deux cents kilomètres d’Athènes, ma destination finale. C’est-à-dire à peine deux jours de pédalage si j’accélère un peu, et trois si je prends tout mon temps. Je ne peux pas croire que ce soit déjà l’heure de faire demi-tour : comment un voyage aussi exaltant peut-il déjà approcher de la fin ? J’ai du mal à accepter cette réalité : il y a encore tellement de choses à voir, tellement de moments à vivre par ici. J’en arrive alors à une conclusion qui me semble subitement évidente : il n’est pas question de faire demi-tour maintenant, je vais continuer encore un peu. Pourquoi pas jusqu’en Turquie, puisqu’elle est située juste derrière ? L’idée me rend fou de joie : il y a encore de beaux moments qui m’attendent…


Mais pour l’instant, je dois rejoindre Athènes et pour cela, je vais transiter par Corinthe, dont je veux voir le fameux canal.

Quelques kilomètres avant d’y arriver, je suis coursé par trois chiens alors que je roulais tranquillement sur un petit chemin caillouteux. Il sert à accéder aux quelques fermes qui sont disposées de part et d’autre de ce sentier.

Les trois bêtes sont agressives et elles aboient en boucle. Elles sont de gabarit moyen puisqu’elles culminent entre la taille d’un petit roquet et celle d’un berger allemand.

Je me suis déjà fait courser par des chiens au moins une vingtaine de fois depuis mon départ. C’est inhérent, hélas, au voyage à vélo même si le plus souvent, ces poursuites ne durent pas bien longtemps.

D’un pays à l’autre, ces bestioles sont toutes les mêmes : les mollets qui pédalent les rendant folles, elles éprouvent systématiquement le besoin irrépressible de pourchasser le moindre cycliste qui passe à proximité de leurs mâchoires. Je sais par expérience qu’il est alors inutile d’accélérer pour essayer de les distancer car ces chiens courent bien plus vite que je ne roule, sauf quand je suis en descente, ce qui m’a d’ailleurs déjà sauvé la mise deux ou trois fois.

Mais aujourd’hui, la particularité de ces trois molosses, c’est qu’ils sont plutôt organisés : l’un court à ma gauche, l’autre à ma droite et le troisième juste derrière moi. Et si je ne suis pas aussi terrorisé que le cerf poursuivi par la meute, je dois bien dire que ce harcèlement en règle est assez efficace car je n’en mène pas large.

En général, les chiens qui me pourchassent abandonnent au bout de quelques centaines de mètres puis rentrent chez eux. Pas ces trois là. Au bout d’un kilomètre, celui de droite m’attaque carrément : il me mord tout en galopant mais coup de chance pour moi et manque de pot pour lui, c’est dans la semelle de ma chaussure de randonnée que se plantent ses ratiches aiguisées. La morsure s’avère totalement indolore pour moi mais aussi pour la bête, puisque ses dents n’ont visiblement pas été abîmées par ma semelle pourtant rigide. Désormais surexcité, le canidé continue à me poursuivre en jappant de plus belle. Tout en roulant, je riposte par un grand coup de pied de défense si maladroit qu’il me déséquilibre et manque de me faire tomber. J’effleure à peine son museau.

Hasard ou improbable coordination canine, c’est le moment que choisit son pote de gauche pour me mordre à son tour. Heureusement, il me rate, son museau tapant juste ma chaussure. Je lui donne aussitôt un coup de pied à lui aussi : pas de jaloux. On ne dirait pas comme ça mais ce n’est vraiment pas facile de taper un chien le plus fort possible, quand on pédale vite. En tout cas, mon coup de latte en plein museau ne lui fait ni chaud ni froid, et lui aussi continue la poursuite en me hurlant dessus.

Quelques centaines de mètres plus loin, l’improbable absolu se produit : alors que je me trouve depuis le début sur un chemin de campagne, j’atterris… dans une impasse ! Mais comment une telle malchance est-elle possible ? Le chemin vient en effet mourir dans la cour d’une ferme, grillagée de toutes parts : je n’ai aucune issue.

Je n’arrive pas à y croire mais je n’ai pas le temps d’y penser car je vais être obligé de m’arrêter. En d’autres termes, dans une seconde, je vais poser le pied à terre et les cabots vont se jeter sur mes mollets douillets pour les déchiqueter. Alors que mon adrénaline se propulse à une altitude inconsidérée, je freine de toutes mes forces, ce qui fait déraper mon vélo lourd dans un grand bruit, les cailloux giclant dans tous les sens. Je pose brutalement le pied droit à terre et en attendant l’impact imminent des chicots de mes poursuivants sur mon mollet, mes cordes vocales expulsent de toutes leurs forces mon cri du cœur : « PUTAINS DE CLÉBARDS ! »

Là, l’improbable absolu se produit pour la deuxième fois en quelques secondes : sans doute surpris par tout ce raffut, les trois sauvages rebroussent chemin et rentrent chez eux en trottinant comme si de rien n’était, sans le moindre aboiement ! Je n’arrive pas à y croire, ni à comprendre comment ils peuvent abandonner si facilement après avoir été si agressifs. Mais peu importe, l’essentiel est là : mes mollets sont intacts.

Le danger permanent que représentent les chiens est connu de tous les voyageurs à vélo. Avant le début de mon périple, je savais bien que ce type de mésaventure surviendrait un jour où l’autre. C’est pourquoi, sur les conseils avisés de ma petite femme, je m’étais carrément fait vacciner contre la rage : ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ? Aujourd’hui, je suis entier mais je l’ai échappé belle.

Je remonte sur mon vélo, je fais demi-tour pour sortir de l’impasse et je roule derrière mes agresseurs, mais à distance très respectable. Puis je m’engouffre dans le premier chemin à droite qui me tend les bras. Un peu plus loin, je rejoins une route et là, enfin en sécurité, une petite défaillance physique m’oblige à m’arrêter : après être montée brutalement pendant la poursuite, l’adrénaline est maintenant en chute libre. Je prends ce prétexte pour dévorer une poignée de biscuits au chocolat qui, à défaut de me requinquer physiologiquement, me font un bien fou au moral. Essoré, je reprends la route pour Corinthe, qui n’est plus très loin.

Le canal de Corinthe

Cette ville est connue notamment pour son fameux canal. Il fut creusé à la fin du XIXe siècle afin de relier la mer Ionienne à la mer Égée. Long de six kilomètres, il permet aux navires d’éviter un détour de quatre cents kilomètres tout autour du Péloponnèse. Plus tout jeune donc mais sacrément utile, ce vieil ouvrage.

Observer les plus gros navires qui y naviguent est paraît-il spectaculaire car leur coque frôle les parois. Mais ces gros bâtiments sont rares et il faut être chanceux pour être là au bon moment, la plupart des navires qui passent ici étant de petits bateaux de plaisance. Je tente quand même ma chance, n’étant venu à Corinthe que pour ça, et je rejoins donc l’un des ponts qui franchissent le canal.

Trois heures plus tard, toujours rien : pas le moindre rafiot à l’horizon. La nuit commence à tomber quand enfin, j’entends ronronner un moteur de bateau. Ce n’est pas le monstre des mers que j’espérais, mais c’est mieux que rien.

Un petit bateau franchit le canal

Onze mille navires empruntent ce canal chaque année, soit une trentaine par jour, ce qui fait un bateau tous les trois quarts d’heure : avec une misérable coquille de noix en plus de trois heures d’attente, je n’ai donc pas été verni ! Mais ce n’est pas bien grave, je voulais quand même voir ce site atypique qui est plutôt impressionnant avec ses falaises creusées à la verticale, et qui montre bien à quel point l’humain est capable de faire de grandes choses, quand il veut…

Le canal de Corinthe en quelques chiffres :

- 6 km de long

- 25 m de large

- 52 m de hauteur maximale

- 8 m de profondeur

Le soleil se couche sur le canal


Il ne me reste plus que soixante-dix kilomètres à rouler jusqu’à la destination finale de mon périple : Athènes. Porté par un moral en béton pour avoir réussi à faire ce voyage à la force des mollets, j’y arrive en quelques coups de pédales.

Bilan : Nice - Athènes à vélo

- 3.000 km parcourus

- 29.000 m de dénivelé positif

- 50 jours

- 8 kg perdus !

Là, une semaine de pause m’attend avec ma petite femme, venue spécialement de France. Après l’effort, le réconfort…

Athènes
Le temple de Poséidon, Cap Sounion
Depuis le temple de Poséidon

Après deux mois en tête-à-tête avec un vélo, une semaine de retrouvailles, ça vous requinque un cyclo-voyageur !

Savourer le plaisir de se retrouver, visiter ensemble ce coin de Grèce, mais aussi me reposer un peu après tous ces kilomètres et surtout toutes ces montagnes à vélo : c’est la belle vie pendant une semaine.

Mais comme toujours, les vacances ont une fin. Ma femme rentre donc en France pendant que je reprends le cours de mon périple, mais en le prolongeant jusqu’à mon nouvel objectif : la Turquie. Et pour y aller, j’ai décidé de transiter par une toute petite île grecque méconnue et, paraît-il, somptueuse : Nisyros.



Une ruelle de Mandraki

Il est calme et la plupart de ses ruelles sont trop étroites pour permettre aux voitures d’y accéder. Ce qui laisse une voie royale aux vélos comme le mien…

Une ruelle de Mandraki

Après avoir flâné là un bon moment, je me dirige vers le haut de la colline qui surplombe le village. C’est là que se trouvent les ruines de la ville ancienne de Nisyros, à l’époque où elle était fortifiée. Le site offre une vue d’ensemble sur le village actuel en contrebas, sur la mer et sur les îles voisines.

Mandraki : le village actuel, en bas, vu depuis le village ancien, en haut

Mais la principale raison de ma venue sur Nisyros, c’est son volcan. Il est situé à l’intérieur de l’île et pour le rejoindre, il faut grimper des côtes très pentues. Sur ma route, je passe d’abord par un autre village, Pali. Il est situé sur la côte.

L’église de Pali

Il s’agit d’un petit village de pêcheurs où le temps s’écoule paisiblement.

En pédalant sur le quai, je passe juste à côté d’un type assis sur une chaise en plein soleil. Impassible malgré son front ruisselant, il démêle son filet de pêche avec une minutie qui force le respect. Je lui lance le kalimera de rigueur (bonjour) auquel il a la même réaction qu’un sourd-muet : aucune.

Heureusement, son employé me répond gentiment, depuis leur chalutier amarré juste à côté. Debout sur le pont, il démêle lui aussi des filets emmêlés et il m’invite à le rejoindre à bord pour discuter. C’est Mohamed. La communication n’est pas très facile car il ne parle que grec et moi pas, mais il est jovial et sa joie est communicative. Il exhibe fièrement leur pêche du jour : deux belles raies et quelques poissons aux couleurs vives.

Mohamed

Quand vient le moment de reprendre ma route pour le volcan, je dis au revoir à Mohamed, qui me répond tout sourire. Mais cette fois, son patron, qui dégouline toujours autant sur sa chaise en plein cagnard, me salue lui aussi : il n’est ni sourd, ni muet.

Avant de bifurquer vers l’intérieur de l’île et son fameux volcan, je fais un petit détour en longeant la côte car je veux voir les plages. Avec leur sable noir, elle ne peuvent nier leur origine volcanique.

Les plages à la sortie de Pali

Peter, un néerlandais rencontré sur le ferry et qui vit sur l’île voisine de Tilos, m’avait expliqué pendant la traversée depuis Athènes que sur les plages de Nisyros débarquaient régulièrement des migrants. La plupart d’entre eux viennent de Syrie et d’Afghanistan par familles entières, fuyant le chaos et les persécutions qui règnent dans leur pays. Ils sont à la recherche d’une vie meilleure sachant que de toute façon, elle ne pourra pas être pire ailleurs.

Peter m’avait raconté qu’on retrouvait régulièrement des effets personnels de ces migrants sur les plages : soit parce qu’ils les abandonnent sur le sable et les galets en arrivant, soit parce que leurs affaires se sont échouées là, portées par la mer après un naufrage…

Derrière chacun de ces objets divers gisant sur la plage se cache un vécu personnel souvent dramatique. Cela me touche d’autant plus que mon propre grand-père fut lui-même un migrant. Ukrainien, il dut fuir son pays, qui appartenait alors à la Russie, après la révolution bolchevique de 1917.

Alors bien sûr, pour venir jusqu’en France, il n’eut quant à lui aucune mer à traverser. Il ne risquait donc pas le naufrage, contrairement à tous ceux qui essaient de débarquer ici, parfois sans succès d’ailleurs, certains terminant leur voyage vers la liberté au fond de la mer Égée.

Mais traverser tout un continent à pied comme le fit mon grand-père, tout seul à l’âge de dix-sept ans, son petit baluchon sur le dos, à travers des forêts peuplées d’animaux sauvages et glacées par l’hiver slave, n’avait pas dû être une partie de plaisir non plus.

Ces tranches de vies dramatiques sont assez similaires finalement, qu’elles nous viennent de la Syrie de Bachar al-Assad, de l’Afghanistan des talibans ou de l’Ukraine des bolcheviks.

La différence, c’est que les temps ont bien changé. Car si mon grand-père eut la chance d’être accueilli à bras ouverts au pays de Voltaire, où il s’intégra ensuite parfaitement, rejoindre des contrées européennes libres est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui pour les migrants car ils y sont, c’est un euphémisme, rarement les bienvenus. L’Histoire est sans pitié.

Je remonte sur mon vélo en tournant désormais le dos à la mer mais avant de rejoindre le volcan, il y a un dernier site que je voudrais découvrir : le village de Nikia.

Sur les hauteurs de l’île

Pour m’y rendre, je dois faire un petit détour en montant les côtes très raides de l’intérieur de l’île, avec des pentes affichant des pourcentages entre 10 et 15%. Ce ne sont pas mes pires ascensions depuis le début du périple puisque j’ai atteint trois fois la barre folle des 20% mais il faut savoir qu’à partir de 10% de pente, le pédalage en côte devient vraiment difficile avec un vélo de cinquante-quatre kilos.

Mon vélo admire la vue

Avec ce soleil qui tabasse, mon front ruisselle désormais autant que celui du patron pêcheur qui démêlait ses filets, tout-à-l’heure sur le quai. Sauf que là, ça me fait beaucoup moins sourire ! Heureusement, les vues plongeantes sur la mer constituent ma récompense.

La vue depuis les montagnes

Je croise de temps en temps des vaches au milieu de la route, mais aussi des chèvres dans les arbres ! Elles y grimpent avec une agilité de singes pour déguster les feuilles. Impossible de les photographier car elles s’enfuient dès qu’elles m’entendent approcher.

Sur ma route, je passe devant un autre village perché : Emporios. Il a été déserté au fil des années pour ne plus compter aujourd’hui qu’une trentaine d’habitants.

Emporios

Peu avant l’entrée du village, au bord de la route, se trouve une petite grotte qui fait office de sauna naturel pour les visiteurs, grâce à l’activité volcanique du sous-sol de Nisyros. En effet, si tout semble normal sur cette île, il se trouve qu’en réalité, rien ne l’est ! Son existence même n’est que le fruit d’une succession d’éruptions volcaniques au fil des millénaires. Actuellement, son sous-sol est encore et toujours bouillant.

Quand j’arrive à Nikia, en haut des montagnes qui dominent la mer, je suis assoiffé et je n’ai qu’une seule envie : m’asseoir à l’ombre de la terrasse d’un café et dévaliser son frigo.

Nikia

Mais avant ça, je dois passer par les petites ruelles du village et là, je dois bien l’avouer : c’est le coup de foudre !

Une ruelle de Nikia

Les petites ruelles paisibles et colorées sont pleines de charme. Il n’y a aucune voiture dans le village, et pour cause : elles sont bien trop larges pour pouvoir s’aventurer dans des ruelles si étroites où seul un vélo peut passer, et encore.

Du coup, moi qui rêvais de m’abreuver comme une bête il y a quelques minutes à peine, je ne peux plus m’empêcher de m’arrêter tous les dix mètres maintenant, pour photographier et filmer l’intérieur du village, repoussant à plus tard ce moment pourtant tant attendu de me rafraîchir…

Dans cette petite bourgade, le clou du spectacle, c’est sa place centrale. Elle est pavée d’une mosaïque qui a la réputation, dans toute la Grèce, d’être l’une des plus belles du pays. Impossible de la photographier en entier car elle est en partie occupée par des tables de restaurants, je ne l’immortalise donc qu’à moitié.

Nikia et sa fameuse mosaïque de cailloux au sol

C’est d’ailleurs à l’une de ces tables que je m’auto-récompense enfin des efforts fournis dans les montagnes, en remplissant mon gosier de boissons fraîches et de salade grecque.

L’avantage quand on a pédalé jusqu’en haut d’une montagne, c’est que la seule chose qui reste à faire ensuite, c’est de redescendre. Après mon repas, l’itinéraire jusqu’au volcan s’avère donc une formalité.


Quand j’y arrive en fin d’après-midi, il est déjà assez tard : le guichet d’entrée est fermé et le passage est libre. Sur le parking, il n’y a plus qu’une seule voiture. C’est celle du gérant du petit snack situé juste après le guichet. Il m’indique que l’entrée est gratuite pour tous ceux qui arrivent ici à pied… ou à vélo ! Mon deux-roues n’ayant pas pollué, je peux entrer gratuitement.

Le cratère Stefanos

Ce volcan est le plus jeune de la mer Égée. Même si sa dernière éruption date de 1888, il n’est pas considéré comme éteint. D’ailleurs, en 1995, la chambre magmatique située juste en dessous a grossi au point de provoquer une crise sismique dans toute la zone.

Au début du petit chemin qui mène tout au fond du cratère, un panneau rappelle que le site est potentiellement dangereux.

Pendant la descente, je savoure le privilège que j’ai de me retrouver entièrement seul sur ce site naturel d’exception.

Le cratère Stephanos, vide de touristes…

Dans ce cratère, la première chose qui attire mon regard, ce sont les couleurs. Les parois sont jaunies par les dépôts de soufre.

Juste avant d’arriver dans le cratère principal, je passe devant Andreas, un cratère beaucoup plus petit.

Andreas, également appelé Mikros Stefanos

Un peu plus loin arrive le moment que j’attends, celui où je peux enfin fouler le sol bouillonnant du cratère principal de Nisyros.

Au fond du cratère

Reliés par de fines cordes, des piquets délimitent les zones auxquelles il est interdit d’accéder, pour des raisons de sécurité évidentes. Car par ici, la terre chauffe, voire surchauffe. Et disons-le carrément : elle bouillonne, elle fume et elle brûle ! Dans ces zones interdites d’accès, l’eau bout en effet en permanence au fond de sortes de petites marmites naturelles.

Une petite marmite naturelle d’eau bouillonnante

Un peu partout, de petites colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel, me rappelant elles aussi que je suis bien sur un site naturel d’exception.

Les fumerolles au fond du cratère

Pour les photos, j’ai de la chance : c’est la fin d’après-midi et le soleil, en déclinant, enrobe le volcan de sa lumière chaude et photogénique.

Les parois soufrées du cratère

Je passe un bon moment à arpenter le fond du cratère dans tous les sens mais le soleil, qui poursuit sa descente, va bientôt se cacher derrière les parois de la caldeira et plonger le volcan dans la pénombre. Je décide donc de quitter ce lieu magique, sans doute le plus incroyable depuis le début de mon périple, car maintenant il va bien falloir penser à dormir.

Au fond de la caldeira

Et pour ça, mon idée, c’est de trouver un spot de bivouac discret le plus près possible du site. J’en dégote un assez rapidement et je pose ma tente face au volcan : ce soir, je mangerai en admirant les cratères.

Dormir à quelques dizaines de mètres du cratère

De loin, je guette le départ du patron du snack, qui n’a pas l’air pressé de s’en aller. Lorsqu’il passe enfin en voiture à une trentaine de mètres de moi, sans me voir puisque ma tente est cachée par un monticule de pierres ocres, je me retrouve alors absolument seul sur ce site d’exception. En effet, la caldeira de quatre kilomètres de diamètre est inhabitée, elle ne contient pas la moindre maison. A part la mienne, faite de toile.

Le soleil finit tranquillement de se coucher. La nuit noire, en tombant, fait disparaître ce paysage volcanique jusqu’à demain. Au loin, j’entends l’aboiement d’un chien qui semble provenir du sommet de la caldeira, à un ou deux kilomètres de moi. Le silence qui règne ici est tel que ces aboiements lointains me paraissent tout proches. Puis j’entends de petits bruits de pierres à proximité de la tente. Il y a peu de chances que ce soit un humain, ce doit plutôt être un animal quelconque qui passe par là, comme une vache ou une chèvre.

C’est l’heure de dormir. En fermant les yeux, les images du volcan continuent à défiler en boucle derrière mes paupières. Ce soir, ici, ma sensation de plénitude est totale.

La journée du lendemain commence comme celle de la veille s’est terminée : par la vue sur les cratères et les parois de la caldeira.

Lever de soleil face au volcan

Je dévore rapidement mon petit déjeuner banane – yaourt – granola en réfléchissant tranquillement : je me suis tellement régalé hier au fond de la caldeira que je décide de modifier mes plans. Au lieu de retourner comme prévu à Mandraki, le principal village de l’île où je prendrai bientôt un ferry pour la Turquie, je vais passer la journée à profiter de ce volcan et je dormirai encore au fond de la caldeira ce soir : à l’époque où le tourisme de masse est roi, c’est tellement bon pour une fois de se sentir si seul dans un endroit si exceptionnel, qu’il faut savoir en profiter à fond. Je quitterai donc ce site qui m’émerveille non pas aujourd’hui mais demain.

Une fois le camp levé, je reprends mon vélo en direction du volcan.

Pour commencer la journée, je vais jeter un œil aux autres cratères. Car si le cratère principal de l’île, appelé Stefanos, est le seul que visitent la plupart des touristes qui s’aventurent jusqu’ici, ce volcan atypique comporte six cratères en tout. Je roule donc jusqu’à un petit chemin qui permet d’accéder à ceux que je n’ai pas vus.

Le petit chemin qui mène à Polyvotis

Tout au bout du sentier, je me retrouve subitement face à une profusion de couleurs : les parois ocres de la caldeira surplombent celles toutes jaunes d’un grand cratère. Quelques tâches verdâtres de végétation sous un ciel profondément bleu complètent le paysage.

Le cratère Megalos Polyvotis

C’est le cratère Megalos Polyvotis. Il n’est pas possible de descendre au fond. Le lieu dégage une impression de gigantisme face auquel je me sens minuscule.

Descente à pied vers Megalos Polyvotis

Son petit voisin, Mikros Polyvotis, est moins impressionnant mais dans celui-là, je peux descendre au fond et me balader au milieu de quelques fumerolles.

Le cratère Mikros Polyvotis

Après les deux cratères Stefanos hier, le grand et le petit, et les deux cratères Polyvotis ce matin, il ne me reste plus que les deux derniers cratères du volcan à découvrir : Alexandre et Logothetis. Mais ils ne sont indiqués nulle part. Je me dirige donc vers ce qui me semble être les parois d’un cratère.

Direction les deux derniers cratères

Pour cela, je dois sortir du chemin et je me retrouve alors à marcher dans des amas de pierres rougeâtres, beaucoup moins praticables.

Mon point de repère, ce sont des zones de souffre, visibles de loin car très jaunes. C’est donc vers elles que je me dirige. Là, de près, je distingue nettement mieux la présence de multiples petites bouches de souffre fumantes.

Depuis cet endroit, je domine la plaine de Lakki, le fond plat de la caldeira, avec une vue à 180°.

Sitôt passée la zone de souffre, je me retrouve sur la paroi du cratère, nue. Mais au bout d’une dizaine de mètres à peine, il me semble subitement entendre mes pas résonner. Je frappe le sol du pied pour vérifier et aussitôt, petite frayeur : non seulement ça résonne bel et bien mais en plus, ça tremblote. Ce qui signifie que sous mes pieds, le sol est creux et pas forcément très solide, donc potentiellement écroulable !

Au vu de toutes les fumerolles présentes dans la zone, je sais pertinemment que sous mes pieds, le sous-sol atteint des températures bouillantes. Ne m’appelant pas Mike Horn, je fais immédiatement demi-tour. Je ne pourrai donc pas observer de plus près les deux derniers cratères mais tant pis, ce n’est pas bien grave car j’en ai déjà pris plein les yeux avec les quatre autres. Je redescends tranquillement au milieu des éboulis de pierres colorées.

Depuis hier, je suis fasciné par ce site qui est une démonstration de ce que peuvent faire les forces de la nature lorsqu’elles se déchaînent. Je passe donc le reste de la journée à errer à vélo au fond de cette caldeira où je me plais tant. Le soir venu, je pose ma tente à l’opposé du volcan, dans un petit champ ou paissent quelques vaches.

Dernier bivouac dans la caldeira

Elles ont beau être pacifiques, cela ne les empêche pas de transpercer la nuit par quelques beuglements. Au réveil, je reprends ma route, qui commence par la montée des parois de la caldeira.

Vue sur le fond de la caldeira avec le volcan en arrière-plan

Tout en pédalant, je surveille les chèvres qui se baladent telles des équilibristes sur les parois abruptes de la caldeira au-dessus de moi, car elles projettent régulièrement des cailloux sur ma route.

D’une manière plus générale, les chutes de pierres sont fréquentes par ici et si les plus petites parviennent souvent à débouler sur le bitume, les plus grosses, heureusement, sont bloquées par des protections.

Chutes de pierres

Pour redescendre vers Mandraki, le principal village de Nisyros, je traverse à nouveau les paysages typiques de l’île, qui plongent inlassablement dans la Grande Bleue.


Mon dernier objectif sur cette île qui ne cesse de m’enchanter depuis que j’ai posé les pieds dessus, c’est de photographier Mandraki au crépuscule, car ce petit village m’avait paru photogénique le jour de mon arrivée.

Je me rends donc au petit monastère Panagia Spiliani qui domine le village, sur lequel il offre une vue plongeante. Les personnes que j’ai rencontrées en montant ici m’ont indiqué qu’à cette heure-ci, le monastère était fermé. Mais quand j’y arrive, il est ouvert. J’entre donc.

Le monastère Panagia Spiliani

En sortant, j’aperçois à quelques mètres en contrebas le pope, en train de fumer discrètement une clope. Il ne m’a pas vu, trop occupé à guetter en dessous de lui si quelqu’un arrive. Quand je le salue d’un kalimera amical (bonjour), il sursaute et cache immédiatement sa cigarette dans son dos, comme un gamin.

Je ne comprends absolument pas pourquoi mais peu importe, nous discutons un moment. Il se débarrasse dès que possible de son petit concentré de nicotine et de goudron en le jetant discrètement par dessus le mur de clôture, construit à flanc de falaise et qui domine la mer. Je fais comme si je n’avais rien vu et je fais comme toujours le petit selfie-souvenir.

Je profite du soleil rougeoyant puis de la nuit qui tombe pour faire les images pour lesquelles je suis venu.

Le monastère Panagia Spiliani domine le village de Mandraki

C’était mon dernier jour sur Nisyros. Avec sa douceur de vivre, sa faible fréquentation touristique, ses vues à couper le souffle et son volcan coloré, cette petite île au côté enchanteur m’aura marqué.

J’en ai fini maintenant avec la Grèce. Demain, je prendrai un bateau pour la Turquie, où rien ne se passera comme prévu. Hélas…


Le volcan reçoit la visite de 200 à 1.000 visiteurs environ chaque jour ! Heureusement, il est suffisamment vaste pour qu’on ne s’y bouscule pas et de toute façon, les visiteurs se concentrent sur le créneau 10h00-15h00 environ. En effet, la plupart d’entre eux viennent à la journée seulement, en provenance des îles voisines de Kos et Rhodes.

Idéalement, il faut donc se rendre au cratère Stefanos en fin de journée :

  • Lorsque les bus de touristes sont partis, afin de bénéficier de la plus faible fréquentation possible ;

  • Et 1h00 – 1h30 avant le coucher du soleil, quand la lumière est la plus belle.

Si vous souhaitez également jeter un œil sur les cratères voisins, alors prévoyez d’arriver encore une heure plus tôt, voire deux si vous voulez prendre tout votre temps pour visiter.

Si vous êtes des lève-tôt, vous pouvez également arriver en début de matinée, avant l’arrivée des bus de touristes. Toutefois, la lumière est un peu moins belle le matin que le soir car les parois de la caldeira masquent plus le soleil quand il se lève que quand il se couche (elles sont plus hautes d’un côté que de l’autre).


L’entrée coûte désormais 5 euros par personne (et non plus 3 euros, comme on peut encore le lire un peu partout sur Internet).

Toutefois, elle est gratuite pour tous ceux qui s’y rendent… à vélo ou à pied !


  • Une paire de bonnes chaussures : on peut s’en passer mais le sol est boueux et brûlant dans toute la partie humide du cratère, donc de bonnes chaussures sont préférables. Si vous vous posez la question d’y aller en tongs, c’est possible mais déconseillé.

  • L’été : prévoir une bouteille d’eau ainsi que casquette et crème solaire, car le soleil peut taper très fort.


  • Il y a un parking pour garer la voiture

  • Il y a également un snack avec terrasse ombragée et toilettes gratuites (accessibles à tout le monde, y compris aux non-clients du snack).


Elle coûte 40 euros par adulte et 20 euros par enfant (2 à 12 ans) : excursion Nisyros depuis Kos.

Cette excursion inclut une brève visite du village de Mandraki.

Le prix d’entrée dans le volcan (5 euros), le repas du midi et les boissons ne sont pas inclus.


Si vous êtes curieux, voici un site Internet à ne pas rater : le site géoparc de Nisyros.

Tout y est : carte interactive, cratères, chemins de randos, biodiversité, mais également l’histoire de l’île et de ses habitants…


  • En plus de mes deux nuits en bivouac tout seul dans la caldeira, j’ai dormi au Romantzo Hotel, réservé via Booking. Si vous cherchez un hôtel dans le centre de Mandraki, alors le Romantzo ne vous conviendra peut-être pas car il est légèrement excentré (il suffit néanmoins de 5 à 10 minutes de marche à peine pour s’y rendre). Par contre, si vous cherchez le calme, alors il est parfait.

La vue depuis le Romantzo Hotel
La terrasse des chambres

Les prix sont corrects (37 euros hors saison, début mai, lors de ma venue, petit déj’ inclus), la vue sur la mer est agréable, l’accueil est sympa et le petit déjeuner varié.


Je dois commencer par préciser que la Trans-Dinarica… ne passe pas par la Grèce ! Elle passe par les pays des Balkans situés juste au-dessus de la Grèce mais si je l’évoque quand même dans cet article, c’est parce que les cyclo-touristes se rendant en Grèce passent le plus souvent par les Balkans. Alors, si les infos suivantes peuvent les aider à trouver un bel itinéraire…

La Trans-Dinarica est un itinéraire cycliste qui relie les pays des Balkans occidentaux en traversant une superbe chaîne de montagnes, les Alpes Dinariques. Ce parcours a été conçu pour permettre aux cyclo-voyageurs qui s’aventurent par là de découvrir tout le patrimoine local : naturel, culturel, gastronomique…

La Trans-Dinarica en Croatie

Il passe par des villages, des forêts, des montagnes, ou encore par la mer. Il alterne entre routes bitumées très peu fréquentées et chemins de terre en pleine nature. Il traverse des parcs nationaux et des sites classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

Bivouac sur le parcours de la Trans-Dinarica

Tout au long du parcours, on découvre le sens de l’hospitalité des habitants des Balkans ainsi que les paysages à couper le souffle de cette superbe région méconnue, en plein cœur de l’Europe. Bref, quand on roule sur la Trans-Dinarica, on en prend plein les yeux et on se sent une âme d’aventurier !

Sur la Trans-Dinarica mais sous la pluie (Bosnie-Herzégovine)

La distance totale de la Trans-Dinarica approche les 6.000 kilomètres, et son dénivelé positif les… 100.000 mètres !

Les pays traversés sont la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Kosovo et la Serbie.

La Trans-Dinarica passe par la rivière Drin (Albanie)

Pour se procurer le parcours précis ainsi que sa trace GPS, ce que j’ai fait, il suffit de se connecter au site officiel : Trans-Dinarica.

Bien sûr, ce n’est pas gratuit mais ce n’est pas très cher non plus et surtout, cela vaut tellement le coup : si, comme moi, vous êtes un.e cycliste amoureux.se de la nature, alors le rapport qualité-prix de ces packs est exceptionnel.

On peut se procurer le pack pour les huit pays à un tarif avantageux (à partir de 90 euros), ou bien choisir un pack par pays (de 8 à 23 euros selon le pays). Le lien : se procurer le pack de navigation de la Trans-Dinarica.

L’itinéraire de la Trans-Dinarica (Croatie)

Remarque : aucun lien de ce blog n’est sponsorisé, je ne perçois donc aucune commission, que vous cliquiez ou non !

Sur le parcours de la Trans-Dinarica (Croatie)

En préparant votre périple à vélo, si vous vous interrogez sur la Trans Dinarica, n’hésitez pas à me poser vos questions dans la rubrique « commentaires » (votre @dresse mail ne sera pas publiée, contrairement à votre question qui le sera avec un léger décalage, généralement de quelques heures) : c’est avec plaisir que j’essaierai d’y répondre 🙂




Les étapes précédentes :



L’étape suivante, suite et fin du périple :


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